par Panayotis Soldatos, le dimanche 04 octobre 2015

Pour éviter le sort de Archias, suite à son «à demain les affaires sérieuses»
(cité par Plutarque, dans «Vies parallèles des hommes illustres)




Les interventions «à chaud» des institutions européennes lors de deux récentes secousses de crise au sein de l'Union, celles, notamment, issues de la saga grecque sur son nouveau programme de sauvetage financier et des flux migratoires traversant le Vieux Continent, ont renfloué le réservoir d'optimisme de certains observateurs et permis, également, aux acteurs impliqués de se prévaloir d'un satisfecit «a minima». Aussi, faute de volonté-capacité de réponses de vraie réforme, a-t-on recouru au «refrain de consolation», fort connu «l'Europe a toujours progressé en période de crise». Et pourtant, une radioscopie attentive du comportement de l'Union adopté par ses dirigeants nationaux et européens, dans les deux cas précités, comme aussi, et de façon plus générale, lors des dernières années, dans la foulée du grand élargissement à 28 membres et des secousses enregistrées depuis, nous livre un diagnostic qui cadre peu avec cet optimisme et, renvoie, plutôt, à un «déclin qualitatif» du processus intégratif dans l'UE, à double expression :celle du refus politique et/ou de l'incapacité de praxis de presser le pas dans la voie, croyons-nous incontournable, tracée par Jean Monnet, des transferts successifs, continus et sans cesse élargis, de droits souverains des États européens vers l'Union, sous une gouvernance supranationale, et du repli vers des «échafaudages ad hoc», institutionnels-décisionnels et de politiques, intergouvernementaux et para-communautaires; celle de l'accroissement, parallèle et en corrélation, de l'hétérogénéité sociétale et d'élites politiques dans cette Union indûment élargie à 28 membres, conduisant aux dysfonctionnements du système actuel, en proie aux intérêts nationaux, asymétriques et antagoniques, et aux logiques électoralistes qui s'y greffent. Aussi, nous paraît-il rationnel d'affirmer que seul le virage vers la constitution d'un cercle restreint de pays qui «veulent et peuvent» y rentrer -- pays à «compatibilité d'élites politiques» et à «homogénéité sociétale (surtout, socio-économique)», comme du temps de l'Europe des Six --, sous l'enseigne d'un système supranational d'union politique, socio-économique et monétaire, permettrait d'éviter l'éclatement, déjà amorcé, en tant que processus, dans cette Europe «à la carte», celle des dérogations et des formules d'«opting out», avec la résurgence de réflexes nationalistes et d'idéologies d'extrêmes radicalisés, d'une part, la procrastination des forces pro-européennes, frappées d'aboulie et de manque de vision, d'autre part.


1° Malheureusement, aujourd'hui, les réponses aux deux cas de crise, ci-haut mentionnés, demeurent plutôt conjoncturelles, dès lors insuffisantes, et accentuent l'érosion du système intégratif. En effet, les généreux remèdes financiers (d'une magnitude de montants inédite), versés dans le «puits sans fond» de la Grèce pour son «sauvetage», paraissent privés de la capacité d'imposer au récipiendaire le rigoureux respect des règles de l'eurozone et des accords de programme conclus, en vue d'une sortie définitive de crise. Quant au déploiement tardif de ressources financières face à la crise humanitaire des flux migratoires et le processus de fixation ardue de quota de répartition des réfugiés, sans, ici aussi, pouvoir imposer résolument la stricte application des règles de Schengen, ni une politique étrangère, de sécurité et de défense, face aux profonds conflits régionaux à l'origine de ces flux, ils soulignent la criante inaptitude de conception-adoption-exécution de politiques afférentes, réellement communes et accompagnées de sanctions.

2° Ce processus de déclin qualitatif de la construction européenne au sein de l'Union, qui brise l'élan du processus d'intégration supranationale de l'après-guerre, ne pourrait être renversé par les «échafaudages ad hoc» d'institutions et de mesures d'union économique et monétaire, réalisés «a minima», au tournant de crises successives. En effet, l' incapacité de réformes «constitutionnelles», compatibles avec les paramètres de l'architecture supranationale des Communautés européennes des années 50' et, dès lors, conformes aux exigences de débordement intégratif («spill-over») pour «plus d'Europe» et à la finalité ultime d'union politique, conduit, aujourd'hui, à la confusion d'un message intégratif qui rappelle la formule de l'auberge espagnole : les europhobes prônent le «détricotage» de retour à l'Europe des États souverains, voulant faire profiter leurs pays d' une ouverture sélective des marchés, sans, par ailleurs, le maintien des contraintes d' accompagnement par des législations-politiques communes, ni la discipline macro-économique requise et imposée, et ceci en nette méconnaissance d'un monde dominé par un nombre limité de grandes puissances, dans une économie globalisée qui perfore, de façon irréversible, les souverainetés des petits et moyens États et appelle, forcément, aux regroupements régionaux fort structurés; quant aux pro-européens, partisans de l' actuel acquis intégratif de l'UE, ils abordent les crises de l'Europe et son avenir «conditionnés» par la pression de groupes socio-économiques d'intérêts, de clientèles électorales, d'ankyloses idéologiques, de rivalités interétatiques, de «décrochages» d'opinion publique, de défaillances de leadership et de vision, et s'enlisent ainsi dans l'aboulie, l'attentisme, la procrastination, les expédients du court terme. Pendant ce temps, un processus de renationalisation de l'espace public européen se met en marche (virages institutionnels d'ordre intergouvernemental; remises en question, par des extrêmes radicalisés, de la philosophie-rationalité-pratique de libéralisation des flux économiques et de libre concurrence, de discipline macro-économique, de croissance par l'accroissement de la productivité-compétitivité plutôt que par l'interventionnisme et le protectionnisme étatiques).

3° Pour ce qui est des principaux ingrédients constitutifs du déclin qualitatif observé au sein du processus d'intégration européenne, nous retenons ici et en priorité, pour nos développements succincts, à suivre, l'affaiblissement de trois facteurs intégratifs au sein de l'Union : la diminution du degré de compatibilité des élites politiques (diminution reproduite au niveau sociétal plus vaste) par rapport au socle initial commun de valeurs politiques et socio-économiques; l'érosion, dans cette Union hâtivement élargie, de la symétrie de développement socio-économique, qui rend impossible le passage à l'union politique, encadrant une vraie union économique et monétaire; l'aggravation corrélative des phénomènes d' incapacité institutionnelle-décisionnelle du système de l'Union.

a.- la diminution du degré de compatibilité des élites politiques, par rapport au socle initial commun de valeurs politiques et socio-économiques

N'eût été la convergence des valeurs de construction sociétale de la Démocratie chrétienne, progressivement étendue à des segments nationaux compatibles de la social-démocratie, autour du projet de Jean Monnet, nous n'aurions pas eu le lancement des Communautés européennes des années 50 et, en particulier, de la Communauté économique européenne (CEE). En effet, le traité CEE de 1957 a nécessité un accord sur des principes et règles de libéralisation commerciale et, plus largement, économique, un régime de libre circulation et de libre concurrence au sein d'un marché commun, devenu, par l'Acte unique européen, un marché unique, et, ultérieurement, un rapprochement monétaire, avec son parachèvement d'intégration dans la zone euro; on a, également, pu imposer, lors de la révision par le traité de Maastricht et, dans la foulée, par le Pacte de stabilité et de croissance, une discipline budgétaire et, plus largement, macroéconomique que le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (Pacte budgétaire) a voulu renforcer.
Certes, ce processus de libéralisation et de rigueur macro-économique n'a, évidemment, pas été voulu comme un modèle de libéralisme «sauvage» et d'austérité, comme le clament, aujourd'hui, certaines forces politiques dans plusieurs pays membres, faisant fi à la réalité des textes et des politiques afférentes et s'en prenant à ce qu'ils appellent le «néo-libéralisme» de l'Union. Bien au contraire, il a été, dès le départ et de façon croissante par la suite, encadré par des politiques socio-économiques d'accompagnement (sociale, agricole, régionale, de fonds de cohésion etc.) et visait à mettre les bases d'une saine et stable croissance économique, considérée comme le sous-produit, voulu et espéré, d'un processus de compétitivité accrue, précisément favorisé par la libéralisation des flux économiques (biens, services, personnes et capitaux) et l'assainissement des finances publiques, à combiner, ultérieurement (en interdépendance obligatoire et étroite), au niveau des États membres, avec un faisceau de réformes structurelles et notamment : une refonte-modernisation de l'Administration publique; un système d'éducation et de recherche innovant et performant; une ouverture constante du marché du travail et une réduction des coûts de production, justement pour éviter les délocalisations extra-européennes, dans l'océan de l'économie globalisée; une planification stratégique du déploiement européen et, plus largement, international, des entreprises.
Dans cet ordre d'idées, il ne devrait jamais être question, surtout dans la période de la dernière crise économique, d'y déroger et de s'en éloigner, sous la pression de dérapages démagogiques et de joutes électorales. Et pourtant, chez les 28 États membres de l'Union, des forces politiques, parfois au gouvernement (surtout en période de majorités précaires et de coalitions fragiles) et, plus souvent, à l'opposition, s' élèvent, selon les cas, pour préconiser le retour à des recettes interventionnistes-protectionnistes, tout en exigeant, souvent (paradoxe), d'importantes transfusions financières de fonds européens, voire des formules de «mutualisation des dettes» d'États membres, et ceci sans égard au fait que l' Union ne dispose pas de vrai et suffisant budget «fédéral» d'intervention, ni d'institutions «fédérales», légitimées et équipées de pouvoirs constitutionnels pour procéder, de façon systématique et récurrente, à de telles injections-distributions-redistributions de ressources financières. Devant ces positionnements antagoniques et contradictoires, la confusion s'installe et les institutions et leurs agents de contrôle, par exemple, de la mise en œuvre des programmes de sauvetage pour la Grèce (FMI, Banque centrale européenne, Commission européenne et maintenant -- dans le dernier programme -- Mécanisme européen de stabilité) sont soumis, sous la pression nationale, à des arythmies-cacophonies et vexations, vulnérables qu' ils sont par leur mixité d'origine (FMI et UE) et leur déficit de légitimité (absence de contrôle parlementaire européen direct) et de capacité institutionnelle-décisionnelle (besoin de cadre supranational).
De façon plus générale, pour inclure, également, ici, à notre conclusion d'étape, le dossier des flux migratoires, on ne peut que regretter ces phénomènes d'érosion du socle commun de valeurs politiques et socio-économiques des élites nationales, percolant vers les populations et alimentés par des clivages droite-gauche (surtout dans les franges d'extrêmes radicalisés) que l'on croyait, pourtant, atténués, sinon évacués, dans un monde globalisé et interdépendant, et qui remettent en question les fondamentaux du processus d'intégration européenne par des rigidités idéologiques et des penchants souverainistes-protectionnistes. En effet, l'avons-nous déjà souligné, dans un nombre croissant d'États membres de l'UE, des alliances gouvernementales, parfois intégrant des forces politiques d'un vaste éventail politico-idéologique, comme, également, des instabilités gouvernementales créent, aujourd'hui, une énorme confusion sur les politiques nationales et européennes à suivre pour une sortie de crise; ceci d'autant plus que nous sommes en présence de 28 membres, avec des cycles politiques-électoraux encore plus nombreux, vu les divers niveaux d'élections (nationales, fédérées, régionales, locales), qui perturbent, inévitablement, le débat intégratif au sein de l'Union. À cet égard, et à titre d'exemple, le cas de la Grèce, sur des questions d'union économique et monétaire, et de la Hongrie, sur des questions de politique d'immigration et d'asile, illustrent cette rupture de consensus de valeurs au niveau des élites dirigeantes (d'autres élites des 28 États membres, tantôt dans l'opposition et tantôt au sein de coalitions hétéroclites de gouvernement, sont, également, en rupture de consensus en ces matières, avec impact sur un comportement erratique de leurs populations) et une érosion plus profonde du socle de valeurs socio-économiques de l'Union. Et si cette rupture demeure encore minoritaire au niveau des sphères gouvernementales de l'Union, elle est déjà, plus largement, préoccupante, notamment dans des pays dont l'instabilité politique et l'incapacité de gouvernance favorisent des virages vers les extrêmes du spectre politique, avec de fortes répercussions d'europhobie et de grandes perturbations du processus de construction européenne.

b.- L'érosion de la symétrie de développement socio-économique et le besoin d'un cercle restreint d'union politique, encadrant une vraie union économique et monétaire

La crise économique européenne, plus forte, notamment, à Chypre, en Espagne, Grèce, Irlande et Italie ainsi qu'au Portugal, a permis au clivage traditionnel «Nord-Sud» de faire une réapparition plus prononcée au sein de l'Union (bien que l'Irlande ne loge pas sous l'enseigne géographique du Sud européen). On a même voulu, surtout du côté grec, y trouver un trait de «solidarité de bloc» dans le processus de recherche de programmes efficaces de sauvetage, voire une alliance, entre autres, sur le dosage «austérité-croissance» ou, encore, sur le dossier de l'éventuelle mutualisation des dettes et, même au-delà, pour une opposition concertée face à la forte insistance de l'Allemagne et d'autres pays du Nord européen pour la mise en œuvre absolument rigoureuse desdits programmes au niveau de l'assainissement macro-économique et des réformes structurelles. Cela dit, ce projet d'alliance ne s'est jamais concrétisé, la Grèce s'étant retrouvée, notamment, dans la présente phase de sauvetage, isolée, du fait que les autres pays du Sud ont pu sortir avec succès des programmes d'aide les concernant (ou se trouver sur le point de l'être : Chypre) ou, encore, ont pu s'engager dans l'assainissement de leur économie, essentiellement, par leurs propres moyens (Italie); il n'en demeure pas moins que certaines convergences-communications de forces politiques de gauche radicale se manifestent dans les pays du Sud européen, surtout dans le cadre du paysage politique grec, espagnol et français.
La réalité perceptuelle, structurelle et de politiques, créant et perpétuant l'asymétrie de développement socio-économique au sein du processus d'intégration européenne, notamment, depuis l'adhésion de l'Irlande, ensuite, de la Grèce, plus tard de l'Espagne et du Portugal, et, in fine, dans la foulée du grand élargissement vers le Centre et l'Est européens, affecte le fonctionnement harmonieux de l'UE et son développement intégratif optimal. Pour ce qui est, plus particulièrement de la zone euro, il est fort difficile, sur le plan socio-économique, et dans la mesure où la monnaie reflète l'état de l'économie, aux pays les plus faibles d'assurer leur compétitivité (niveau salarial, niveau des exportations, niveau des prix, etc.) et de soutenir leur concurrence dans une zone de monnaie commune forte, partagée avec des partenaires inégalement développés; il est, également, dysfonctionnel de leur imposer des politiques communes qui, s'adressant à des partenaires inégaux, provoquent des distorsions de flux d'échanges et des formes de développement hiérarchisé. Et, lorsque cette asymétrie, conjuguée à la déliquescence des politiques macro-économiques et, plus généralement, publiques d'États membres plus faibles, appelle la solidarité des partenaires les plus performants, les interventions de sauvetage, l'avons-nous vu, en particulier dans le cas de la Grèce, deviennent politiquement difficiles, en l'absence de fédéralisme d'union économique, voire politique, qui fournirait une base de légitimité et d'équité fiscale pour demander aux populations des États prêteurs de financer , dans le cadre de programmes d'aide, voire de sauvetage, des pays en difficulté économique structurelle, voire, parfois, en déliquescence macro-économique et en incurie de réformes structurelles. À cet égard, il est devenu, maintenant, évident, hélas tardivement, que la zone euro n'aurait pas dû se résoudre, dans un laxisme lourd de conséquences, à admettre des pays dont l'asymétrie de développement socio-économique et les carences occultées ou mal évaluées, au niveau des critères de Maastricht, n'autorisaient pas la participation à l'euro : l'admission de la Grèce est parmi les cas avoués de ce laxisme et manque de rigueur dans l'examen du dossier d'adhésion. Malheureusement, la finalité politique de l'euro (parallèle à sa logique première d'ordre économique) explique ce «laxisme accueillant» de l'UE, qui, voulant réussir un pari politique, a commis une erreur socio-économique dont les conséquences désintégratives n'ont pas fini à se faire ressentir. Il ne reste, aujourd'hui, que la formule de sortie de la crise par une mutation structurelle, celle de la création d'une zone d'union monétaire, bancaire, fiscale et budgétaire, sur des bases d'union politique, avec ceux qui veulent et qui «peuvent» (certaines récentes positions, notamment du côté français, nous font croire à une préférence pour un appel à ceux qui veulent, ce qui nous replongerait dans les dysfonctionnements de l' actuelle zone euro).

c.- L'aggravation de l'incapacité institutionnelle-décisionnelle du système de l'Union européenne

On a énormément écrit et dit sur le sujet, surtout durant la dernière étape des pourparlers de l'UE avec le premier gouvernement grec d'Alexis Tsipras, en se concentrant sur le problème spécifique à régler, soit celui de l'assainissement des finances publiques de la Grèce et de la réforme de ses structures administratives et socio-économiques et, plus récemment, sur celui de son incapacité de répondre à ses obligations en matière de contrôle de ses frontières et d'application des législations-politiques européennes portant sur le flux migratoires et l'octroi d'asile. On s'est, toutefois, peu attardé sur un aspect fondamental pour l'avenir de la construction européenne, le fait que cette saga grecque fut le révélateur de profondes insuffisances institutionnelles et fonctionnelles au sein même de l'Union européenne et de la zone euro.
- Au niveau de l'eurozone, d'abord, il est, en effet, affligeant de constater le manque de discipline et de collégialité institutionnelle ainsi que le laxisme observé face aux tergiversations de la Grèce : des membres de l'Eurogroupe faisaient, souvent, «cavalier seul», par des déclarations, en aval et en amont de leurs nombreuses réunions, les ministres de l'Allemagne et de la France (en «découplage» évident), en tête, suivis par le président et certains membres de la Commission européenne, participant aux travaux de l'Eurogroupe (nous renvoyons, ici aux fréquentes déclarations et clins d'œil vers la Grèce du président Jean-Claude Juncker et du commissaire chargé des affaires économiques et financières, Pierre Moscovici, ce dernier peu cadré par le président Juncker et le vice-président, chargé de l'euro, Valdis Dombrovskis) ; ces déclarations et interventions publiques ont provoqué la confusion et des interprétations variables sur l'évolutions des travaux de l' institution et les positions en présence; le président du PE, de son côté, a, maintes fois, procédé, durant la période des pourparlers, à des prises de position, ajoutant à la cacophonie existante, sans que le Parlement européen puisse, par ailleurs, faute de prévision «constitutionnelle», contrôler les travaux et les décisions de l'Eurogroupe. En outre, il n'a pas été au crédit de la cohérence de l'Union et de l'eurozone, comme aussi du respect de leurs institutions et règles de fonctionnement, de constater que, pendant plusieurs mois, la procrastination du gouvernement grec, ses palinodies de positionnements et ses virulentes déclarations d'hostilité à l'égard de représentants d'institutions européennes, aient pu se produire à la faveur tantôt d'une passivité et d'un attentisme de ces institutions, tantôt d'un manque de consensus au sein de l'Eurogroupe, sans, toujours, oublier les voix discordantes du côté français, aggravant, de surcroît, le coût du sauvetage grec, dans sa mouture finale, et la charge afférente des contribuables des pays de la zone euro.
- Si l'on revient, maintenant, au dossier de l'immigration et de l'asile, les manquements de pays comme la Grèce et la Hongrie (pour ne citer que ces deux pays, d'autres, à responsabilité plus indirecte, pouvant être, également, signalés) à leurs obligations découlant des traités sont restés sans conséquences de sanctions, voire ont «bénéficié» de la «clémence» de Bruxelles. Et pourtant, tant dans le cas grec (assistance défaillante aux migrants; traitement, par négligence, répréhensible, tout au long de leur séjour-parcours sur le territoire grec; manquements sur le plan du traitement, dans l'ensemble chaotique et elliptique, des demandes d'asile) que, surtout, dans celui de la Hongrie (on cite souvent la Hongrie, dans le cadre d'une procédure de mise en œuvre de l'article 7 TUE), l'on pourrait très bien «actionner» l'article 7 TUE, qui prévoit une phase préventive (en cas de «risque clair de violation grave» par un État des valeurs de l'Union, celles de l'art. 2 TUE) et une phase politique de sanctions («existence de violation grave et persistante» de ces mêmes valeurs) à l'encontre de pays qui ne respectent pas les valeurs de l'UE. En cette même matière, il y aurait, également, lieu de rechercher des manquements desdits pays à leurs obligations juridiques découlant du droit européen.

4° En conclusion, il est à craindre d'inquiétantes perspectives de procrastination et, in fine, de paralysie dans ces grands dossiers évoqués et d'autres en cours et à venir, tels que le respect intégral des règles actuelles de la zone, le parachèvement d'une union bancaire et fiscale et, au-delà, la création-consolidation d'une vraie gouvernance (supranationale) de la zone euro, le traitement judicieux des demandes britanniques (dans le cas d'un rejet référendaire outre-Manche de l'option de retrait de l'UE), entre autres, de négociation de «dérogations» et de changements de certaines législations de l'Union, l'élargissement de l'Union, la révision plus vaste des traités, la réponse aux incessants flux migratoires et, de façon plus générale, la possibilité d'une vraie politique étrangère et de sécurité commune et, au besoin, de sécurité et de défense commune, face aux foyers de conflits dans la zone géostratégique, géopolitique et géoéconomique de l'Union (sur ce dernier point, toutefois, le nécessaire «découplage» de l'UE de l'OTAN demeure toujours un pari du long terme).
Dans cet ordre d'idées, seule une nouvelle géométrie variable de la construction européenne, avec, au cœur, un cercle restreint de «noyau dur et cohérent» d'États, en matière d'union économique et monétaire, de politique étrangère et de sécurité commune, voire de sécurité et de défense commune, le tout sous une gouvernance d'union politique, pourrait endiguer ce déclin qualitatif du processus d'intégration européenne et permettre au projet européen d'atteindre, par étapes, la finalité ultime des pères fondateurs, l'Europe fédérale.


Panayotis Soldatos est professeur émérite de l'Université de Montréal et titulaire d'une Chaire Jean Monnet ad personam à l'Université Jean Moulin – Lyon 3

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