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par Antonio Vitorino, le jeudi 08 décembre 2011

Entretien avec António Vitorino réalisé à l'occasion du Conseil européen des 8 et 9 décembre 2011.


1- Que pensez-vous de l'évolution de la crise qui affecte la zone euro et des réponses apportées à ce stade par les chefs d'Etat et de gouvernement européens et les institutions européennes ?

Comme la plupart des observateurs, je constate que les réponses apportées par l'UE vont toujours dans la bonne direction, mais qu'elles sont souvent insuffisantes et tardives. On peut comprendre les raisons d'une telle " stratégie", mais cela ne signifie pas qu'on l'approuve !

Je comprends les difficultés à forger des compromis politiques au niveau européen, face à une crise d'ampleur inédite. La gouvernance de "l'UEM" est en train d'être largement redéfinie et il faut que les Etats membres et les citoyens prennent le temps de débattre des changements nécessaires. Le profond mouvement de réformes structurelles engagé dans de nombreux pays prend lui aussi logiquement du temps à être mis en oeuvre et, plus encore, à produire ses effets.

Du point de vue de l'efficacité, force est cependant de souligner que les réponses apportées jusqu'alors n'ont pas réussi à contenir la crise et les effets de contagion qu'elle génère. Le résultat est que cette crise s'est malheureusement aggravée, et que nous en sommes à la "25ème heure"... La technique des "petits pas" ne semble guère opératoire : il nous faut des réponses à la fois globales et massives, et c'est sur ce registre que le prochain Conseil européen est très attendu.

J'ajouterai que ce qui manque à ce stade est une réponse en termes de croissance – d'autant plus nécessaire au regard des efforts de rigueur engagés. C'est en maintenant un niveau de croissance convenable qu'on pourra le mieux réussir les ajustements en cours, en donnant un horizon plus mobilisateur aux citoyens. Tous les éléments d'un nouveau "paquet Delors" sont sur la table pour 2012 :

- relance du marché intérieur, adoption d'un nouveau cadre financier,

- financement de grandes infrastructures européennes, y compris via des " project bonds ", etc.

Il faut désormais que les chefs d'Etat et de gouvernements s'emparent davantage de tous ces éléments, dans le cadre d'une stratégie de croissance européenne perçue et promue comme telle. Et il faut aussi que cet objectif de croissance soit mieux intégré aux efforts de coordination des politiques économiques nationales, y compris au moment de la révision des traités – cette "coordination" ne pouvant avoir comme seul but d'organiser la rigueur partout et pour tous.

2 – Quelle est votre position à l'égard des propositions actuellement les plus discutées, notamment l'émission d'"eurobonds" et des interventions plus massives de la BCE ?

Je dirai d'abord que ceux qui cherchent une solution miracle à la crise se trompent : il n'y a pas de formule magique ! La réponse à cette crise implique de combiner toute une série d'instruments, qui se renforcent mutuellement, avec un bon équilibre entre actions nationales et interventions européennes.

Plusieurs de ces instruments ont déjà été utilisés jusqu'à alors : plans d'assainissement des finances publiques nationales, aides bilatérales ou multilatérales (FESF), interventions conventionnelles et non conventionnelles de la BCE, recapitalisation du secteur bancaire, etc. Il faut à la fois tirer pleinement parti de leur utilisation combinée, tout en essayant d'amplifier leurs effets, aussi bien dans l'urgence que sur la durée.

La BCE a eu jusqu'à présent un rôle central, à travers ses initiatives de soutien au secteur bancaire européen et ses interventions sur le marché obligataire secondaire. Je suis certain qu'elle va poursuivre son action et même agir avec plus de détermination afin de préserver la stabilité du système financier européen. Elle doit le faire sans violer les traités et sans compromettre la crédibilité de son action future : ceci exclut de lui attribuer à ce stade un rôle de prêteur en dernier ressort. Il y a néanmoins des alternatives pour renforcer son action dans le respect des traités : on peut par exemple renforcer la capacité d'intervention du FESF et du Mécanisme européen de stabilité en explorant la possibilité que la BCE leur attribue, directement ou indirectement, une ligne de crédit.

La proposition d'émettre des "eurobonds" traduit l'idée que les dettes des pays européens doivent faire l'objet d'une garantie solidaire et collective liant l'ensemble d'entre eux. La Commission vient de proposer trois grandes options, dont les avantages et les inconvénients doivent être soigneusement analysés. Une chose semble certaine : s'ils veulent regagner la confiance des marchés et confirmer qu'ils sont sérieux quand ils affirment vouloir se battre pour la stabilité de la zone euro, les Etats membres ne peuvent refuser l'horizon de cette mutualisation de leurs dettes, fut-elle partielle, et qu'elle intervienne en dessus ou en dessous du seuil des 60% du PIB.

J'observe que peu d'Etats la rejette catégoriquement, y compris l'Allemagne, mais tout est une question de "timing". Une telle mutualisation des dettes pourra sans doute plus facilement intervenir après que les actions de sauvetage en cours ont commencé à ramener le calme, et après que les Etats membres en difficulté ont démontré leur détermination à engager d'importantes réformes structurelles. Mais c'est assurément une voie porteuse pour la suite.

3 – Comment percevez-vous la perspective d'une implication accrue de l'UE dans le suivi des réformes structurelles, et plus spécifiquement d'un contrôle européen beaucoup plus étroit des budgets des Etats membres ?

Même si l'UE ne leur demandait rien, les Etats membres se devraient d'assainir leurs comptes, faute de quoi ils continueront à avoir des difficultés à se financer à des taux convenables sur les marchés. Ces actions nationales sont indispensables pour restaurer la confiance, comme en témoigne la réaction positive des investisseurs au plan que Mario Monti vient de présenter.

Face à la crise de la dette, l'UE et ses Etats membres se sont montrés solidaires des pays en difficulté et, en contrepartie, ont exprimé la nécessité d'un contrôle européen accru des politiques économiques nationales, via différents vecteurs : semestre européen, réforme du pacte de stabilité, " Pacte pour l'Euro plus", etc. L'idée de base est que la faiblesse du pilier économique de "l'UEM" a favorisé le développement de déséquilibres budgétaires et macroéconomiques difficilement soutenables, et qu'il faut donc le renforcer.

Comment faire ? Comme le disait Tommaso Padoa-Schioppa, un système où "ceux qui jugent sont les mêmes que ceux qui sont jugés" ne peut pas marcher : cela me semble par nature exclure un suivi seulement intergouvernemental des politiques nationales. Je suis par ailleurs sceptique quant à un rôle accru de la Cour de justice, qui me paraît mal outillée pour évaluer la portée des choix économiques et budgétaires nationaux.

C'est donc vers la Commission qu'il faut se tourner, car elle dispose de l'indépendance et de l'expertise nécessaires pour garantir le respect des règles communes, si de tels pouvoirs lui sont attribués. C'estd'ailleurs ce que prévoit la récente réforme du Pacte de stabilité, puisque la Commission pourra notamment sanctionner les Etats cumulant les déficits excessifs, sauf opposition d'une majorité qualifiée des membres du Conseil. Encore faut-il bien préciser que cela ne lui donnera pas la capacité de déterminer le contenu des politiques publiques et des choix fiscaux privilégiés par les Etats membres, mais simplement de les appeler à le modifier en cas de franchissement des seuils de déficit et de dette fixés en commun.

J'ajoute qu'une participation organisée des Parlements nationaux doit aussi faire partie de la nouvelle architecture de l'UEM : c'est en effet une condition essentielle de la légitimité des processus de décision européens lorsqu'ils portent sur l'utilisation des budgets nationaux, et plus largement sur la coordination des politiques économiques nationales.

-4 Un changement des traités européens vous paraît-il souhaitable ?

Une révision des traités a déjà été engagée pour la mise en place du "Mécanisme européen de stabilité" – dont le dispositif pourrait d'ailleurs être affiné, notamment pour introduire une prise de décision à la majorité qualifiée, comme le propose Herman Van Rompuy. Mais il me paraît désormais incontournable d'aller au-delà, ne serait-ce que parce c'est un peu le "prix à payer" pour maintenir l'équilibre entre solidarité européenne et responsabilités nationales.

Le surcroît de solidarité européenne consenti dans la période récente n'est en effet pas tout à fait en ligne avec l'esprit du Traité de Maastricht et, surtout, du Pacte de stabilité : ils prévoyaient plutôt que chaque pays devrait faire face à ses difficultés s'il n'avait pas respecté les disciplines communes. Le renforcement du Pacte de stabilité a déjà été acté au niveau législatif : qu'on veuille ancrer ce renforcement au niveau des traités semble notamment très important pour l'Allemagne – surtout au moment où une solidarité
accrue est toujours nécessaire.

Cette révision des traités ne résoudra évidemment pas la crise en cours, puisque les amendements adoptés ne pourront entrer en vigueur qu'à la fin 2012 au mieux. Mais sa mise sur les rails doit permettre d'amplifier les efforts de solidarité de l'UE, qui sont indispensables à la sortie de crise. Cette révision constitue par ailleurs un bon levier pour démontrer que les engagements des Européens au service de règles communes sont une réalité politique inscrite sur la durée, et auxquels les investisseurs puissent se fier.

L'important est cependant de bien définir le champ de la révision des traités. On a beaucoup parlé de "petite révision" mais, dans le même temps, des propositions assez larges ont été formulées, par exemple par la CDU allemande. Il semble qu'un compromis franco-allemand s'est dégagé en faveur d'une révision à la fois limitée et rapide. Mon expérience me conduit à observer qu'un mandat plus large augmente les chances d'obtenir des compromis satisfaisants l'ensemble des acteurs ; mais il est vrai qu'il peut aussi
conduire à des négociations plus longues et plus laborieuses… Peut-être sera-t-il nécessaire de procéder en deux temps ?

Le point le plus important est que cette révision doit être engagée au niveau de l'UE 27. D'un point de vue juridique, c'est forcément à cette échelle qu'une révision est envisageable, comme le stipulent l'article 136 et le protocole n°14. C'est tout aussi indispensable d'un point de vue politique, dès lors que "l'UEM" n'est pas une "coopération renforcée" mais concerne tous les Etats membres.

Cela ne veut bien sûr pas dire que, dans le cadre de cette révision, comme dans le cadre des traités actuels, il ne faille pas essayer d'approfondir les efforts d'intégration en privilégiant l'échelle de la zone euro : il y a notamment beaucoup à faire pour mieux organiser la mise en oeuvre et le suivi des stratégies nationales de compétitivité, sans lesquelles on ne résoudra pas les grands problèmes de fond de l'UEM. Mais il est important de le faire dans une logique n'excluant pas les pays qui n'ont pas encore adopté l'euro, et au sein du cadre institutionnel et politique de l'UE toute entière.

5 – Le Conseil européen va aussi faire le point sur la mise en oeuvre des grandes orientations européennes en matière énergétique : quelles sont selon vous les principales priorités à court et moyen terme ?

Le Conseil européen du 4 février 2011 a fixé des objectifs importants pour la mise en place d'une politique énergétique commune : j'aime y voir un écho à l'impulsion politique donnée par Notre Europe en faveur d'une "Communauté européenne de l'énergie". L'essai doit être maintenant concrétisé, car de nombreux progrès essentiels restent à accomplir.

A court terme, c'est-à-dire d'ici 2014, l'UE et ses Etats membres doivent d'abord finaliser la mise en place d'un marché énergétique européen libéralisé et intégré, qui se fait attendre depuis trop longtemps. Il faut pour cela que les Etats membres se mettent en conformité avec les derniers paquets législatifs adoptés.

L'autre priorité est d'intégrer les marchés en construisant les interconnexions manquantes, qui sont également un instrument indispensable pour donner corps au principe de solidarité énergétique en Europe, proclamé par le Traité de Lisbonne. Les moyens financiers sont jusque-là insuffisants : il appartient dès lors à l'UE de recourir à des modes de financement innovants, notamment la "facilité pour l'interconnexion en Europe" et les emprunts obligataires dédiés aux infrastructures.

L'UE doit aussi s'affirmer sur la scène internationale en développant une politique énergétique extérieure commune et cohérente avec son marché intérieur. Les récentes propositions de la Commission doivent être mises en oeuvre sans délai, qu'il s'agisse de la transparence des contrats d'approvisionnement ou de la négociation d'un accord-cadre avec les pays d'Asie Centrale, afin de permettre au "Corridor Sud" d'exister.

A moyen terme, le véritable défi est d'adapter nos systèmes énergétiques afin d'assurer la transition vers une société durable et faiblement émettrice de carbone. Il s'agit pour l'UE et ses Etats membres de réaliser les objectifs assignés pour 2020, en particulier en matière d'efficacité énergétique, sur lesquels pèsent de nombreuses incertitudes. La conférence de Durban nous confirme la difficulté d'un nouvel accord global pour la lutte contre le changement climatique. Dans un tel contexte, la contribution du secteur énergétique de l'UE pour réaliser, à l'horizon 2050, l'objectif européen de réduire de 80-95% les émissions de C02 par rapport au niveau de 1990, apparaît d'autant plus nécessaire, même si elle ne suffira pas à elle seule.

http://www.notre-europe.eu


Antonio Vitorino est président de Notre Europe

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