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par Bruno Vever, le mercredi 08 juin 2011

Un grand merci au CORIM pour cette invitation qui me vaut le plaisir d'être avec vous à Montréal. Et un brin de nostalgie aussi : il y a 22 ans, j'avais été invité par votre gouvernement fédéral au château Montebello pour présenter le point de vue européen dans un débat avec deux autres témoins des Etats-Unis et du Japon sur nos perspectives comparées à l'ouverture du 21è siècle. Cette échéance paraissait lointaine. Aujourd'hui aussi mais cette fois derrière nous !

J'étais alors directeur des affaires européennes au Conseil National du Patronat Français, devenu MEDEF - Mouvement des Entreprises de France - dont j'ai longtemps assuré la représentation à Bruxelles en liaison avec notre association européenne UNICE devenue BusinessEurope. En présentant le point de vue européen en 1989, je m'étais logiquement concentré sur la préparation à notre marché unique, alors programmée pour 1993.

J'aurais été le premier surpris si on m'avait à l'époque prédit la chute du mur de Berlin qui intervint neuf mois après, déclenchant pendant quinze ans un incroyable jeu de dominos : réunification allemande, abandon du mark au profit de l'euro, élargissement continental de 12 Etats membres en 1989 à 27 aujourd'hui, et même signature d'un traité constitutionnel, issu d'une convention ayant associé parlementaires européens et représentants de la société civile. Un seul constat aurait pu être à la hauteur d'un tel enchaînement : "impossible n'est pas européen "!

Mais j'aurais été encore plus surpris si on m'avait également précisé que les électeurs français et néerlandais - deux pays fondateurs - voteraient contre ce traité constitutionnel dès lors remisé au placard, que les Etats européens s'endormiraient sur leur union monétaire en la considérant comme un point d'arrivée plus qu'un point de départ, et que l'euroscepticisme et l'eurosclérose, qu'on avait cru balayer avec l'édification du marché unique, reviendraient à nouveau plomber l'opinion comme le climat à Bruxelles !

Retenons donc ceci :"impossible n'est pas européen" ne vaut pas seulement pour ce qu'on pensait ne jamais réussir ! Ca vaut aussi pour ce qu'on pensait ne plus pouvoir rater ! Cela ne facilite pas les prévisions, mais plante correctement le décor de notre débat d'aujourd'hui. Commençons donc par nos imprévoyances…


I Face à la crise qui a ébranlé l'euro en 2010 : trois motifs d'étonnement

1 Qu'elle ait pu surprendre nos décideurs

Elle l'a fait à la manière des évènements depuis trop longtemps annoncés. Même sans le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède, l'union monétaire a démarré avec une assise large, s'adjoignant dès le début les pays du Sud - Italie, Espagne, Portugal et même Grèce - jusque là brocardés "Club Med", puis s'est élargie régulièrement à de nouveaux venus dans l'Union européenne : la zone euro est ainsi passée de 12 à 17 pays membres.

Mais l'union monétaire n'a pas montré pareil élan pour s'approfondir dans la mesure où :

- le pacte de "stabilité" de Maastricht qui chiffrait un cadre précis à respecter, notamment de déficit budgétaire, est resté controversé et surtout peu respecté par les Etats : l'Allemagne aux prises avec la réunification devint un contre-exemple, et la crise acheva de plomber tous les comptes ;

- l'Eurogroupe des ministres des finances n'a montré aucune appétence pour une gouvernance commune, mais une grande mansuétude pour les écarts des uns et des autres, et la Commission a préféré se cantonner dans un secrétariat technique ;

- les pays de l'euro se sont dès lors placés en situation d'apesanteur, un peu comme ces BD ou on plane sur le précipice qu'on n'a pas vu, jusqu'à ce que les marchés se rendent compte que tel ou tel n'est pas en état de voler et n'est pas secouru par les autres !


2 Qu'on ait tant attendu pour créer un mécanisme de soutien

On a trop croisé les doigts sans prévoir d'assurance, c'est-à-dire un fonds de soutien. Trois mois avant la crise grecque du printemps 2010, Europe et Entreprises avait, dans ses priorités pour les années 2010, revendiqué ce fonds dans ses priorités, sans aucun écho ! Dès le début, le choix de rouler sans assurance avait été délibéré. Lors des prémices de l'UEM, l'élaboration d'un rapport au Comité économique et social européen m'avait déjà donné l'occasion de m'inquiéter de cette lacune auprès du directeur général du budget à la Commission. Il m'avait répondu que les progrès des sciences économiques et de la construction européenne rendaient un tel ajout inutile. Comme si je m'étais inquiété d'un parachute dans un avion de ligne ou d'une manivelle pour ma voiture !


3 Qu'on ait oublié que l'union monétaire suppose une intégration économique

La raison centrale de nos déconvenues est venue d'un décalage croissant entre

- l'Europe qu'on nous avait promise à Maastricht : une union économique et monétaire (UEM), c'est-à-dire une Europe plus et mieux intégrée, campée sur ses deux jambes, additionnant nos atouts, avec un effet multiplicateur qui nous renforce ;

- l'Europe qu'on nous a dénaturée depuis dix ans : une union monétaire sans union économique, c'est-à- dire une Europe bancale sur une jambe, sans cohésion, fragilisée par les renoncements et retours au chacun pour soi, créant perturbations et divisions.

Faire l'union monétaire avant l'union économique était un choix tactique compréhensible, car il n'y aurait sinon jamais eu d'union monétaire. Par contre, oublier l'union économique après l'union monétaire fut une erreur stratégique que l'Europe n'a pas fini de payer.


II Les effets de l'union monétaire sans union économique : un bilan décapant

L'Euro a deux faces sur ses pièces : une face fédérale commune à tous et une face nationale particulière à chaque Etat. Elles n'ont pas fait preuve des mêmes mérites.

1. La face fédérale de l'euro a montré ses mérites propres

Crise de l'euro est une appellation impropre : l'euro en soi s'est bien tenu et a fait la preuve des avantages qu'on pouvait en attendre. Il s'est valorisé vis-à-vis notamment du dollar (de -15% à + 40%), s'affirmant comme une monnaie forte, une monnaie de réserve de rang mondial, attractive bien au-delà de la zone euro stricto sensu, avec une excellente notation et une forte capacité d'emprunt sur les marchés internationaux. Il a prouvé ses mérites propres en mettant fin aux coûts et incertitudes de change qui minaient le marché intérieur européen - c'est-à-dire deux tiers de notre commerce - assurant ainsi son unité et sa protection des perturbations extérieures. Il s'est imposé comme un puissant facteur d'identité externe et interne de l'Europe, un point d'arrimage fort pour la construction européenne et son renforcement : tout retour en arrière serait une aventure trop risquée !

Quant à la Banque centrale européenne, fédérale et autonome, elle a bien fonctionné. Elle a veillé efficacement à une stabilité des prix et des taux d'intérêt bas dans la zone euro. Elle a bien réagi à la crise financière de 2008, débloquant les liquidités nécessaires. Son grand handicap a été de " faire avec" le manque de cohésion de l'Eurogroupe : Jean-Claude Trichet a justement pointé l'absence d'un fédéralisme budgétaire. Cette lacune l'a amené par défaut à être l'acteur décisionnel central de l'euro, mais on ne saurait le lui reprocher !

2. Le volet intergouvernemental de l'euro a par contre montré toutes ses limites

C'est "au pied du mur qu'on voit le maçon" : en traitant l'union monétaire comme un point d'aboutissement et non un point de démarrage, en faisant de l'Eurogroupe, et donc d'eux-mêmes, le maillon faible de l'euro, les Etats ont construit une maison en paille et non en briques, entraînant l'Europe dans une longue spirale de déconvenues.

Sur le plan politique, on ne peut que déplorer :

- un déficit de stratégie : où va l'Europe ? Il n'y a plus de réponse politique depuis dix ans, c'est-à-dire depuis les derniers grands objectifs qu'avaient été l'union monétaire et l'élargissement. Depuis, on navigue à vue, chacun pour soi dans la mondialisation. Cette situation fait penser à la parabole des talents, ces talents que le piètre serviteur se croyant honnête avait enterrés au lieu de les fructifier. Qu'avons nous fait de nos euros ?

- un déficit de moyens : il est lié au repli de chacun sur soi. Le budget européen est resté minimaliste, bridé depuis des décennies à 1% du PIB, basé sur des contributions des Etats qui alimentent un mauvais esprit de "juste" retour, chacun voulant retrouver sa mise c'est-à-dire le contraire d'un esprit communautaire. Une lettre à Barroso cosignée Sarkozy, Cameron et Merkel s'est même prononcée il y a quelques mois pour un gel du budget européen d'ici à 2020… On reste dans une mentalité de séparation de biens !

- un déficit d'engagement : il découle de tout cela. C'est le grand retour de l'eurosclérose et de l'europessimisme qui tend à tout contaminer et tout bloquer.

Quant aux résultats obtenus par l'Europe, ils vont bien sûr de pair, avec :

- un déficit de croissance et d'emploi : les politiques nationales de remise en ordre des finances publiques conduites chacun pour soi ont des effets déflationnistes préjudiciables pour tous, alors qu'on aurait pu ensemble réaliser des économies d'échelle et dégager des valeurs ajoutées conciliant équilibrage des comptes publics et activité économique ;

- un déficit de compétitivité et de performances : les positions et les résultats de l'Europe dans la mondialisation ont pâti de cette absence de jeu collectif et de mise en commun de nos potentiels, même si certains comme l'Allemagne ont mieux tiré leur épingle du jeu ;

- un déficit de confiance dans l'Europe, sensible à tous niveaux : nervosité des marchés, tiédeur sinon prise de distance européenne des Etats, désaffection dans l'opinion, montée des courants politiques contraires s'affichant ouvertement anti-européens et anti-euro.

Le tout a bien sûr alimenté un cercle vicieux de blocages et de reculs.

3. Un responsable : l'abandon de la méthode communautaire

Le succès de la construction européenne s'était fondé sur un principe fondateur de Robert Schuman inspiré par Jean Monnet : "l'Europe ne se fera pas d'un coup ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait". Cette solidarité s'est construite en développant une politique d'intégration. L'Europe monétaire de l'euro s'est faite en fonction de ces principes. Mais les Etats ont cherché ensuite à lui substituer, dans le domaine qui aurait du être celui de l'union économique, une autre approche fondée sur une libre coopération.

La dérive fatale a été engagée à Lisbonne en mars 2000, lors du Conseil européen qui a fixé à l'Europe l'objectif de devenir en 2010 championne mondiale de la compétitivité. Les chantiers étaient pertinents (recherche, formation, équilibrage des comptes, etc.). Mais c'est alors qu'on a privilégié une approche intergouvernementale dite de "coordination ouverte" entre Etats (libre émulation, meilleures pratiques) au détriment de la méthode communautaire. Faute de coordination, de transparence, de contrôle et de sanctions, cette méthode a échoué. Elle s'est révélée aussi efficace qu'un couteau sans manche auquel manquerait la lame - et bien sûr toute intention de s'en servir -. Le constat de cet échec patent a pourtant été enfoui au niveau d'un "document des services de la Commission". Il n'a été officiellement reconnu et assumé ni par les Commissaires, ni par les Etats !

On a même fait pire : la nouvelle stratégie Europe 2020 qui a succédé à celle de Lisbonne n'en a tiré aucune leçon. Elle recommence avec les mêmes méthodes
intergouvernementales qui ont échoué. "On ne change pas une stratégie qui perd". L'Europe aurait pourtant du se rappeler que si on a toujours droit à l'erreur, on n'a pas droit à faire deux fois la même !


III Le réveil face à la pression des marchés : deux premiers pas trop attendus

Ce sont les marchés qui ont forcé les dirigeants de la zone euro à se réveiller.

1 Le Fonds de stabilisation marque un revirement tardif mais décisif

Après des aides successives à la Grèce qui se sont révélées insuffisantes pour apaiser la spéculation des marchés, les dirigeants des pays de l'euro, Allemagne en tête, ont été contraints de frapper un grand coup en mai 2010, en mettant sur la table une force de dissuasion de 750 milliards d'euros, dont 250 milliards apportés par FMI. Le fonds de soutien ainsi créé était impensable un mois avant. Mais en à peine un an, il aura déjà été mis trois fois à contribution pour venir en aide successivement à la Grèce, puis l'Irlande, et tout récemment le Portugal, avec des soutiens chaque fois de l'ordre de l'ordre de cent milliards d'euros ! Alors que le budget de l'Europe des 27 est lui-même de l'ordre de 160 milliards d'euros, on voit qu'il ne s'agit pas de petits appuis mais du développement d'une solidarité sans précédent dans l'histoire de la construction européenne.

Sur demande de l'Allemagne, qui n'aime pas improviser et moins encore rester dans l'improvisation il a été convenu de régulariser ce fonds dans le traité : cette intégration reste à ratifier, d'ici 2013, par les 27 de l'UE - et non les seuls 17 de l'euro -.

2 Le pacte de stabilité a été renforcé et complété par un "pacte pour l'euro plus"

C'est la seconde réforme importante apportée coup sur coup à l'union monétaire. Elle a été exigée par l'Allemagne, comme contrepartie de la création du fonds de soutien, présentée conjointement avec la France, et adoptée officiellement en mars dernier. Elle va dans le sens de l'appel "osons l'union économique" présenté deux mois auparavant par Europe et Entreprises. Les disciplines du pacte de stabilité sont renforcées, avec une surveillance tant a priori et qu'a posteriori des comptes publics non seulement budgétaires mais aussi sociaux. En cas de dérive, les sanctions tomberont sauf décision majoritaire. La zone euro se trouve ainsi mise en pilotage automatique sauf ordre contraire. L'efficacité de ces réformes dépendra bien sûr de l'usage qui en sera fait. On peut penser là encore que l'Allemagne, ayant elle-même retrouvé le chemin d'un rééquilibrage de ses comptes publics, ne laissera plus cette fois les choses filer comme précédemment !

3 On est toutefois encore loin d'un plan cohérent

Deux pas importants ont été faits après dix ans d'immobilisme. Mais il manque toujours à l'Europe un vrai plan d'union économique. Deux hirondelles ne font pas le printemps. On a consolidé la maison de paille avec du torchis et du bois, mais cette maison reste encore fragile et inachevée.

La Commission est pour sa part restée trop en retrait alors qu'elle aurait pu et du prendre l'initiative d'un tel plan. En 1985 son président Jacques Delors l'avait fait en présentant un plan sur huit ans (échéance 1992) pour construire un marché unique donnant tout son sens à l'union douanière, faite depuis 1968. C'est sur ce plan que j'avais centré ma présentation y a 22 ans. Qu'attend aujourd'hui la Commission pour présenter un plan comparable visant à faire cette union économique qui donnerait tout son sens à l'union monétaire, faite depuis 1999 ? Cela m'aurait aussi facilité ma présentation aujourd'hui !

Certes, tandis que l'union douanière de 1968 et l'union monétaire de 1999 ont été des acquis clairs, nets et vérifiables, l'union économique comme le marché unique ne pourra jamais être réalisée pleinement. Mais l'objectif dans un cas comme dans l'autre est d'atteindre le seuil d'efficacité et de crédibilité qui change le climat et les perspectives. Ca, on sait quand on l'a ou pas. Aujourd'hui, on ne l'a pas !

Une union économique digne de ce nom, que devrait-elle comporter qu'on n'a toujours pas ? A défaut déjà d'une feuille de route, le cahier des charges paraît clair. Ce sont autant de briques qui manquent toujours à notre maison de paille, de torchis et de bois :

- une gestion commune des émissions d'euro-obligations, complétant le fonds de soutien ;

- une direction politique assumant une gouvernance de l'euro, c'est-à-dire un Eurogroupe construisant des solidarités communes, au lieu de camper sur les intérêts de chacun ;

- en particulier l'amorçage une coordination fiscale établissant des conditions de concurrence mutuelle mieux fondées et mieux équilibrées ;

- des euro-entreprises, c'est-à-dire des entreprises pouvant s'appuyer sur des outils européens communs (statut, sous-traitance, partenariats, brevet) ;

- des biens publics européens, c'est-à-dire des services d'intérêt général redéployés à l'échelle européenne, notamment pour assurer la sécurité commune ;

- un budget européen doté de ressources autonomes et clairement revalorisé (de 1% du PIB à une fourchette de 3-5%, alors que celui des Etats-Unis en représente 20%) ;

- une identité et une solidarité externe, incluant une représentation unifiée des pays de l'euro dans les instances économiques et financières internationales, à l'instar de la représentation européenne à l'OMC.


IV Trois priorités « structurantes » pour compléter les deux premiers pas


Ces objectifs ont été clairement revendiqués en janvier dernier par Europe et Entreprises dans son appel "osons l'union économique pour sauvegarder l'union monétaire". Cet appel a surtout mis l'accent sur trois priorités :

1 La gestion commune d'euro-obligations (eurobonds)

Le fonds de soutien est une première pierre mais ne doit pas rester la seule. Il faudrait, comme l'a proposé le président de l'Eurogroupe Jean-Claude Junker, à ce jour sans succès, créer un trésor européen habilité à émettre des euro-obligations mutualisant sous conditions une part significative de la dette des Etats, ce qui faciliterait leur retour à l'équilibre. Mais pour Europe et Entreprises, une condition prioritaire devrait être d'engager aussi une coordination fiscale.

2 L'amorçage d'un encadrement fiscal

On ne pourra guère en effet engager une meilleure gouvernance de l'euro sans un cadre de rapprochement des fiscalités. La concurrence fiscale entre les Etats est légitime et stimulante, mais devrait être inscrite dans un cadre de règles communes qui brille aujourd'hui par son absence. Les Etats sont ainsi conduits à détaxer abusivement les non-résidents et le capital parce qu'ils sont facilement délocalisables, et à se rattraper en surtaxant abusivement les résidents et le travail parce qu'ils sont moins délocalisables. Cette situation crée des déséquilibres et des iniquités mal ressenties dans l'opinion, surtout en ces temps de crise, tout en s'avérant préjudiciable aux intérêts économiques et budgétaires communs de l'Europe. L'Eurogroupe devrait s'y atteler de façon prioritaire.

Le problème qui bloque est l'exigence de décisions à l'unanimité. C'est pourquoi il faudrait lier les bénéfices de l'aide du Fonds de soutien comme ceux d'une mutualisation des Eurobonds à des compromis pour avancer en ce domaine, et engager directement les chefs de gouvernement, et non seulement leurs ministres des finances, dans l'Eurogroupe pour dégager de tels compromis. Une priorité devrait être d'engager une harmonisation des assiettes à commencer par celle de l'impôt sur les sociétés, où la Commission vient tout juste de présenter des propositions. Il serait ensuite utile d'envisager un serpent fiscal européen pour encadrer les taux d'imposition dans des fourchettes moins disparates.

3 La mise en commun budgétaire d'économies d'échelle

Il n'y aura pas non plus d'union économique sans rationalisation des dépenses publiques à l'échelle européenne. Ceci impliquerait d'abord de réexaminer le coût de la non-Europe qui n'a plus été recalculé depuis le rapport Cecchini il y a 23 ans. Ce coût avait été évalué, pour les entraves aux échanges, à 5 à 7% du PIB et 2 à 5 millions d'emplois. D'autres rapports avaient même avancé, en se basant sur une approche plus large, des fourchettes de 10 à 30% du PIB. La Commission paraît aujourd'hui curieusement peu motivée à renouveler l'exercice, mais le Parlement a décidé il y a quelques mois de l'engager lui-même et le Comité économique et social a aussi convenu d'y contribuer.

On pourrait dès lors visualiser les économies d'échelle qu'on pourrait chercher à réaliser ensemble pour résorber cette non-Europe et son coût, en transférant au budget commun, revalorisé par des ressources propres significatives, des responsabilités mieux assumées ensemble que chacun pour soi. Ce serait là aussi un moyen d'accélérer le retour des Etats aux équilibres budgétaires. Un tel exercice occuperait utilement l'Eurogroupe et sa procédure annuelle, dite du "semestre", consacrée à l'examen des budgets nationaux.

Le plan Barnier présenté par la Commission pour relancer le marché intérieur viendrait à point nommé accompagner cette restructuration en promouvant des euro-entreprises dotées d'outils communs, des services d'intérêt général redéployés à l'échelle européenne et des réseaux transeuropéens innovateurs, concernant la sécurité, l'environnement, l'énergie, les communications. Une récente analyse de la Commission évoque près de 2000 milliards d'euros pour financer de tels réseaux (c'est-à-dire dix fois le budget européen, ou quatre fois le fonds de stabilisation, ou 10% du PIB).

Toute cette restructuration aurait un effet de relance sur l'économie européenne contrebalançant l'effet pénalisant des plans de rigueur. Elle faciliterait les rentrées fiscales et donc le retour aux équilibres budgétaires. La rationalisation européenne des dépenses publiques irait de pair avec un rééquilibrage et un allégement global de la charge fiscale en Europe. On pourrait ainsi créer un cercle économique vertueux s'auto-entretenant.

En conclusion : d'abord continuer, ensuite commencer !

Après dix ans d'assoupissement sur les lauriers de l'euro, le réveil a été brutal. Peut-on y voir celui d'un euro-fédéralisme ? Le verre reste à moitié vide, à moitié plein.

A moitié vide, car les dirigeants européens n'ont fait que réagir sous la contrainte à la pression décisive de marchés aussi inquiets de la dérive des uns que du manque de solidarité des autres. Et leur dispositif est plus intergouvernemental que communautaire : les Etats – réunis par consensus et sur pied d'égalité au Sommet de l'euro des 17 ou au Conseil européen des 27 - restent au centre du jeu, non une quelconque instance "fédérale", la Commission demeurant dans un rôle technique.

A moitié plein, car on a quand même fait depuis un an deux pas significatifs attendus depuis dix ans. On peut certes douter qu'ils aient résulté d'un fédéralisme de conviction. Mais on aurait certainement tort de méconnaître les mérites et les enchaînements d'un fédéralisme de nécessité. Car "nécessité fait loi". Et Deng Xiaoping avait justement constaté qu'il importe peu que le chat soit noir ou blanc s'il attrape les souris !

Et maintenant ? Un autre précepte, cette fois de William James, revient à l'esprit : "d'abord continuer, ensuite commencer". En refondant sa solidarité autour de l'euro, l'Europe peut reprendre sa longue marche sur la seule voie aujourd'hui crédible d'un euro-fédéralisme : la construction pas à pas d'une union économique intégrée. Car renoncer à l'euro coûterait trop aux Etats. Cette volonté de ne pas renoncer à l'euro peut et doit les amener à faire fonctionner, bon gré mal gré, l'eurofédéralisme dont l'euro a besoin. Là réside la seule chance de succès pour la poursuite de l'intégration européenne.

Quel sera donc ce fédéralisme que requiert l'euro ? Ce fédéralisme européen ne sortira pas d'un coup d'un Sommet de l'euro, ou d'un Conseil européen, ou même d'une nouvelle Convention, comme Athéna tout armée de la tête de Zeus. Mais l'Europe peut encore surprendre son monde, peut nous surprendre, et même surprendre les dirigeants européens eux-mêmes !

Un eurofédéralisme pragmatique est déjà à l'œuvre. Il va se préciser sous la pression des défis auxquels l'euro va continuer d'être confronté. "C'est en forgeant qu'on devient forgeron". Et c'est en pratiquant pas à pas cet eurofédéralisme que les Etats européens vont se trouver contraints de l'affirmer, et avec lui l'union économique qui manque toujours à l'union monétaire.

C'est alors qu'il faudra poser en termes politiques la question de son devenir. En attendant, croisons les doigts sans nous tourner les pouces !


Conférence-débat du 20 mai 2011
Conseil des Relations Internationales de Montréal (CORIM)


Bruno VEVER est secrétaire général d'Europe et Entreprises

http://europe-entreprises.org

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