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par Xavier Bauer, le jeudi 02 février 2012

Entretien avec Xavier Raufer mené par la revue mensuelle Aetos n°6 :

"Il faut regarder les choses en face, et le plus loin en avant
possible. Celui qui repère les signaux faibles et prend en compte
les ruptures d'ambiance ne peut pas être surpris."


Qu'est-ce qu'un criminologue ? En quoi ses travaux peuvent-ils intéresser les sphères civiles et militaires, économiques et politiques ?

Un criminologue est un « expert doté d'expérience » qui étudie les phénomènes criminels, avec un double objectif : produire des diagnostics, et les produire à temps. Le modèle est un peu celui de la médecine (un art avant d'être une science) : dans ce domaine aussi, il faut dire les choses assez tôt pour espérer tirer les patients d'affaire.

Le criminologue ne choisit pas son champ d'étude : c'est le code pénal - son "petit livre rouge" - qui le lui dicte. A savoir l'infraction la plus grave, le crime, et plus précisément ses formes collectives et concertées:le crime organisé et le terrorisme. Pour faire court, notre terrain d'études va de Ben Laden d'un côté à la mafia de l'autre. C'est la « face noire de la mondialisation ». Il s'agit de menaces de dimension stratégique mais non militaires, même s'il y a bien évidemment des liens.

Ainsi lors de l'intervention de l'armée française en ex-Yougoslavie, dans les années 1990, c'est notre équipe qui a réalisé l'étude sur le crime organisé dans les Balkans pour le compte du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN). Car les militaires ne se sont pas retrouvés sur le terrain face à l'armée serbe en ordre de bataille, mais confrontés à des bandes armées et des milices, qui sont, elles, dans notre registre. Dans le monde actuel, les frontières ne sont pas nettes. C'est l'acte criminel et son impact sur la sécurité globale, y compris dans ses aspects économiques, qui justifient nos travaux.

Ces travaux reposent sur une méthodologie originale, qui intéresse tous les décideurs : le décèlement précoce...

Le point de départ méthodologique est la conscience que nous avons changé d'époque. Pendant toute la durée de la Guerre froide, le domaine des menaces était lourd, lent, prévisible. Ces menaces étaient donc compréhensibles et maîtrisables.

Les formes et les acteurs du terrorisme étaient aussi bien connus que l'ordre de bataille du Pacte de Varsovie ! Par exemple, Abou Nidal, dans son parcours de chef terroriste international, n'a déménagé que deux fois dans sa vie:de Bagdad à Damas puis à Tripoli. Ce n'était pas encore l'ère du nomadisme planétaire ! Dans ce système classique, les appareils d'Etat étaient également stables et prévisibles.

L'abolition brutale de l'ordre bipolaire a fait apparaître des situations et des figures chaotiques - au sens que la physique donne à ce terme. Ainsi, pendant les 7 années d'existence du GIA, ce groupe terroriste a été dirigé par 7 émirs différents. Et cela change tout. C'est du lait sur le feu ou, pour reprendre l'approche marxiste sur la nature de la révolution, de l'eau qui bout : arrivée à une certaine température, l'eau change de nature, et non plus seulement de degré. Il en est de même des menaces à la fin de la Guerre froide : ce ne sont plus les mêmes, et elles ne sont plus soumises aux mêmes rythmes.

Dans le domaine de l'observation des problèmes d'une part, et de leur résolution de l'autre, tout ce qui relève du rétrospectif devient absolument inefficace. Nous assistons à des phénomènes d'étoiles filantes : extrêmement brutaux mais uniques (cf. la secte japonaise Aum). Le réflexe du retour en arrière, cherchant systématiquement un précédent, qui est ancré dans notre culture administrative, civile ou militaire, devient inopérant.

Il n'est plus question non plus de prolonger des courbes, comme on le fait encore dans le domaine économique et financier. Il faut regarder les choses en face, et le plus loin en avant possible, par une sorte de balayage radar, pour tenter de déceler les éléments potentiellement dangereux (situations, individus, groupes, trafics...). C'est toute la logique du décèlement précoce : celui qui repère les signaux faibles et prend en compte les ruptures d'ambiance ne peut pas être surpris.

Voyez l'effondrement de la consommation de drogue en Grande-Bretagne, observable depuis 3 ans parmi la tranche d'âge la plus jeune de la population (16-24 ans). Les causes sont multiples et encore discutées, mais l'intérêt ici est dans les conséquences criminologiques, et elles sont énormes. Selon l'ONU, le seul marché mondial du cannabis pèse 175 milliards de dollars par an. Un simple infléchissement de la consommation représente des milliards de manque à gagner pour les trafi quants. Or les criminels sont des fauves : s'ils sont affamés, ils vous dévorent. Ils vont donc partir en chasse de marchés de compensation. Les capacités de recherche des services de police et de renseignement peuvent dès lors être utilement orientées vers de nouvelles pistes, comme les contrefaçons par exemple, en pleine explosion.

Nous passons ainsi du décèlement à la détection : après le constat d'un phénomène, reste ensuite, par le renseignement, à l'expliquer puis à le combattre. C'est tout le travail du criminologue : être loin devant, loin au-dessus, et regarder les choses de haut.

Comment se gère dès lors le facteur temps dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme ?

Il y a, entre l'appareil d'Etat et les organisations criminelles, un problème de course de vitesse mais aussi de logique de fonctionnement. Quand l'Etat est dans la procédure, ou la négociation, les criminels sont dans l'intimidation.

Les incitations ne sont pas du même ordre:la personne qui a à choisir entre recevoir la Légion d'honneur et éviter une balle dans la tête ne réfléchit pas longtemps ! D'autant que le trésorier en charge du blanchiment d'un cartel colombien, par exemple, est responsable de ses actes sur sa vie, mais aussi sur celle des membres de sa famille. On croit négocier ou s'attacher à suivre les activités d'un individu, ou même de plusieurs, alors que la grande criminalité est de nature « holiste » : elle fonctionne par clans, villages, familles, mafias. L'individu n'est rien, le groupe est tout, et l'on ne sort jamais - vivant - du milieu criminel.

Cette distorsion dans la nature des organisations se retrouve bien évidemment dans le rapport au temps. Et là, l'Etat tient sa revanche. S'il est souvent trop lent, purement réactif, mais aussi mesuré et raisonné, le temps joue pour lui.

Le criminel a toujours l'épée dans les reins, pour assurer de plus en plus de trafics, de blanchiment, d'extorsions, etc. Les fonctionnaires en charge de sa traque sont bien évidemment très différents. Leur avantage est de ne pas être « tenus » par cette accélération permanente.

Une organisation criminelle, c'est une voiture lancée, sans freins, à une vitesse folle. L'issue est connue, et fatale. A long terme, l'appareil d'Etat gagne toujours. Pour une raison simple : un bandit dans la clandestinité ne réfléchit plus, ne pense plus, n'apprend plus rien. Il est obnubilé par la nécessité de survivre au quotidien. Il est donc vulnérable et le temps joue pour l'appareil étatique qui, chaque jour, gratte un peu plus, apprend, et fi nit par coincer les criminels. Mais en attendant, les dégâts causés peuvent être considérables. Et surtout, le problème relève de l'éthologie : la nature ayant horreur du vide, les criminels éliminés sont rapidement remplacés. C'est darwinien.

En tant que criminologues, nos pratiques professionnelles conjuguent les deux temps, court et long. Comme au musée pour mieux voir un tableau, on pratique la technique du pas en arrière, qui permet de pré-voir. Et la prévision ne se fait pas en observant le baobab adulte, mais ses bourgeons. C'est quand les phénomènes sont encore petits qu'ils sont intéressants, parce qu'ils peuvent
être plus efficacement combattus.

En stratégie militaire, pour gagner, il faut s'arranger pour arriver le premier sur le champ de bataille avec le plus d'hommes possibles. De même en criminologie, il faut être le premier sur le terrain, et se placer en haut de la colline pour bénéficier de la meilleure perspective (au sens étymologique de « regarder à travers, regarder attentivement »). Car celui qui est maître du temps est maître de l'espace. Il convient donc à la fois d'être rapide et de prendre le temps d'ouvrir des perspectives, de construire des scénarios sur le modèle du What if (« Et si ?.. ») que connaissent bien les aviateurs qui préparent leur vol. Bref, regarder devant et prendre en compte la réalité du monde.

En tant qu'espèce, l'être humain ne survit qu'à ce qu'il a compris. A l'heure actuelle, ce qui empêche de comprendre, c'est l'aveuglement. Non pas la cécité, qui est physique, mais ce « refus de voir » décrit par le philosophe Martin Heidegger.

Par exemple, pendant la campagne présidentielle américaine en 2000, opposant Al Gore à G. W. Bush, où sont abordés tous les problèmes qui risquent d'aff ecter l'avenir des Etat-Unis, à aucun moment il n'est question de la menace terroriste. Pas un mot, pas une seule note produite par les centaines d'experts ou sélectionnée par les conseillers politiques qui entourent les candidats.

Quelques mois après, c'est le 11 septembre... Ce qui a rendu possible cet événement, c'est l'oubli du terrorisme. C'est l'exemple typique d'un processus, collectif, d'aveuglement.

La société de l'information qui est la nôtre semble avoir une part de responsabilité dans cet aveuglement.

Pour une raison qui est encore une fois très simple : la très forte intimité des relations entre sphères politique et médiatique - qui s'étend au milieu du show business.

C'est le concept d'«infosphère» révélé par Michel Maffesoli, qui réunit tous ceux qui ont le pouvoir de parler (hommes politiques, journalistes, artistes...). Y règne une identité de vue absolue, une pensée unique et univoque, une doxa massive, déconnectée du réel, où l'expression même d'observations pourtant fondées est tout simplement impossible, car incongrues, voire obscènes. Et ce n'est pas une question d'opinion politique, de choix partisans. Regardez les « 12 idées pour 2012 » récemment publiées par la Fondapol : pas un mot sur les questions de stratégie et de sécurité.

On a l'impression que ce qui est invisible ou illisible au-delà d'un rayon de 500 mètres autour de Sciences po n'existe tout simplement pas ! Faiseurs et relais d'opinion sont atteints du même syndrome d'aveuglement que je signalais précédemment. C'est particulièrement grave, et révélateur, quand cela émane de think tanks, censés produire de la pensée et influer sur les politiques publiques.

Dès lors, que faire ?

Il m'apparaît crucial de retrouver de la profondeur stratégique, des repères stratégiques. Ce qui rend certains dirigeants, politiques en particulier, inefficaces, c'est la consanguinité, l'hybridation avec des gens - les communicants - qui vivent dans la bousculade, l'excitation, et ne trouvent plus le temps ou l'énergie de penser. Penser stratégiquement suppose une gymnastique simple. Premièrement, ne pas considérer que ce qui était vrai hier le sera demain, mais regarder ce qui émerge aujourd'hui et sera pertinent pour l'avenir. Et ce n'est pas si difficile de voir les choses : il faut simplement ne pas se laisser impressionner par le bruit de fond, médiatique ou idéologique, et faire confi ance à son expérience. Deuxièmement, avoir la force, le courage de s'affranchir du climat d'urgence pour reprendre de la hauteur de vue.

Toute démarche qui vise cet objectif, comme l'action entreprise par l'armée de l'air avec la revue AETOS, est extrêmement importante. Michel Riguidel, le grand architecte des systèmes informatiques, professeur à Telecom ParisTech, décrit en deux mots ce qu'il y a devant nous : monochromie et flux tendu.

Souvent, il suffit de s'en extraire pour atteindre une vision stratégique


Criminologue, enseignant et écrivain, Xavier Raufer est docteur en géographie et géopolitique de l'Université Paris-Sorbonne. Directeur des études du Département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines (MCC) à l'Université Paris II, il est également chargé de cours à l'Ecole des Offi ciers de la Gendarmerie Nationale, professeur affilié à l'Edhec et professeur associé au Centre de recherche sur le terrorisme et le crime organisé de l'Université de science politique et de droit de Pékin.

Directeur de la collection Arès à CNRS-Editions et conseiller éditorial aux éditions Odile Jacob, il est l'auteur de nombreux ouvrages consacrés à la criminalité et au terrorisme, parmi lesquels Le cimetière des utopies (Pauvert-Suger, 1986), Dictionnaire technique et critique des nouvelles menaces (PUF, 1998), Entreprises : les 13 menaces du chaos mondial (PUF, 2000), La guerre ne fait que commencer (avec Alain Bauer, J.-C. Lattès, 2002), Le grand réveil des mafi as (J.-C. Lattès, 2003), Les nouveaux dangers planétaires. Chaos mondial, décèlement précoce (CNRS Editions, 2009, prix Maréchal Foch 2011), Quelles guerres après Oussama ben Laden ? (Plon, 2011).

Spécialiste reconnu des menaces criminelles contemporaines et des stratégies de sécurité globale, il intervient dans de nombreux colloques et médias, et publie des tribunes régulières pour Le nouvel Economiste et Valeurs actuelles.

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