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par Jean-Sylvestre Mongrenier, le samedi 04 juillet 2009

« Qu'est-ce que la bêtise ?
C'est celui qui conclut. »

Gustave Flaubert

Au cours des années 1990, la Russie était décrite comme un pays-continent engagé dans une difficile transition vers une économie de marché et un gouvernement de type constitutionnel-pluraliste. Depuis, la « voie russe » et le pétro-mercantilisme l'ont emporté sur la transition et la volonté du Kremlin d'imposer à ses voisins une sphère de contrôle est à l'origine de maints conflits avec les Occidentaux. L'administration Obama peut-elle prétendre dépasser ces contradictions pour nouer un lien particulier avec la Russie, sans menacer la sécurité de ses alliés européens? La réunion à Corfou du Conseil OTAN-Russie (COR), le 27 juin 2009, était censée renouer le « dialogue » et la visite de Barack Obama à Moscou, du 6 au 8 juillet prochain, devrait relancer la coopération russo-occidentale. Pourtant, les oppositions de fond demeurent et limitent le champ des possibilités. En retour, la Chine et les ex-républiques soviétiques mettent à mal les projets et les ambitions russes dans l'« étranger proche ».



Si l'on en croit la doxa, la dégradation des relations entre la Russie et l'Occident serait la conséquence des politiques unilatérales et hégémoniques menées par l'administration Bush ces dernières années ; l'anti-bushisme fait ainsi office de « paradigme » des événements mondiaux, une grille d'interprétation à la portée de tous, de sept à soixante-dix-sept ans. A bien considérer la chose, ce tour d'esprit fait songer à une forme de gnosticisme, avec l'ancien président des Etats-Unis dans le rôle du méchant démiurge à l'origine du mal dans le monde . Dès lors, la retraite politique de George W. Bush et l'éclipse des néo-conservateurs (censés jouer le rôle de deus ex machina) devraient mécaniquement déboucher sur l'ouverture d'une nouvelle phase des relations entre la Russie et les Etats-Unis, avec des retombées positives pour l'ensemble des pays européens, plus encore pour ceux qui s'estiment propriétaires du label « UE » et entretiennent d'étroites relations économiques avec Moscou.

En janvier 2009, une fois investi à la Maison-Blanche, le nouveau président des Etats-Unis a tôt fait de tendre la main à la Russie. Le 7 février 2009, à Munich, le vice-président, Joseph Biden, a confirmé cette orientation tout en précisant que les Etats-Unis excluaient de reconnaître à la Russie une sphère de contrôle dans l'espace post-soviétique. Le mois suivant, le secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, rencontrait à Genève son homologue russe, Sergueï Lavrov, et lui offrait un équivoque et vulgaire gadget - un bouton rouge « reset » - présenté comme le symbole du redémarrage des relations russo-américaines . Cette relance a été officiellement décidée par les présidents russe et américain, à Londres le 1er avril 2009, à la veille d'un sommet du G-20. Présenté avec force louanges par les commentateurs, un communiqué a annoncé l'ouverture de négociations sur les armements nucléaires stratégiques - comme aux grandes heures de la Guerre froide -, cette négociation devant être le fil conducteur d'un « great bargain ». La rencontre à venir de Barack Obama et de Dmitri Medvedev à Moscou, du 6 au 8 juillet, est censée donner un nouvel élan à cette relation, avec de fortes convergences - elles sont présentées comme telles - dans le domaine de la lutte contre la prolifération (Corée du Nord, Iran) et sur le théâtre géopolitique afghan. Les questions qui fâchent – défense antimissile, élargissement de l'OTAN et libre accès au bassin de la Caspienne – sont éclipsées, comme s'il s'agissait là de simples lubies ante-Obama. Nous y reviendrons.


L'obsession russe du « paramètre américain »

L'approche historique des relations entre Washington et Moscou, depuis l'implosion de l'URSS, met en évidence l'obsession russe du « paramètre américain » (Isabelle Facon) et la récurrence du discours partenarial (Sans parler du « dialogue »). Au début des années 1990, la politique étrangère mise en œuvre sous la présidence de Boris Eltsine cherche à combiner trois grandes options : un « partenariat stratégique » avec les Etats-Unis ; l'intégration politique et économique de la CEI (Communauté des Etats Indépendants) et la recherche d'appuis diplomatiques en Asie (Inde et Chine). La priorité est de poser la Russie en alter ego des Etats-Unis, d'intégrer les structures centrées sur l'Occident (le G 7) et de lui faire reconnaître un rôle particulier dans le « système OTAN ». Cette volonté de définir le nouveau statut international de la Russie en relation étroite avec l'hegémon américain s'inscrit dans un contexte précis : la « transition » affichée et proclamée de la Russie vers la « démocratie de marché ». Ministre des Affaires étrangères jusqu'en 1996, Andreï Kozyrev incarne cette orientation occidentale .

La quête d'un « partenariat stratégique » avec les Etats-Unis ne relève pas d'un quelconque complexe de vaincu (la défaite nourrit plutôt le ressentiment à l'encontre de l'Occident) ; l'idée de Boris Eltsine est de perpétuer, fût-ce de manière illusoire, le rang de « superpuissance », via une sorte de condominium démocratique. L'intégration partielle de la Russie au G-7 (le G-8), en 1996, semble donner corps à cette ambition. Du côté des Etats-Unis, l'administration Clinton développe un discours bienveillant et la Russie bénéficie de l'appui de Washington au sein des instances internationales, notamment celui du Fonds monétaire international (FMI) qui soutient la politique économique mise en œuvre sous Eltsine . Pourtant, la vision et le projet d'une nouvelle Russie, reconnue comme l'égale des Etats-Unis, se heurtent aux dures réalités. Entre Moscou et Washington, les écarts de puissance se sont creusés et ils vident de contenu l'idée d'un partenariat spécifique. Au cours de ces mêmes années, on voit aussi s'inverser les termes de l'équation historique et géopolitique entre la Russie et la Chine, engagée dans une phase d'expansion et de modernisation qui déclasse l'ancien « Grand Frère ». Lors du second mandat de Boris Eltsine, le retour d'un représentant de la diplomatie soviétique, Evgueny Primakov, aux affaires (renseignements, affaires étrangères, puis direction du gouvernement) marque une inflexion eurasiatique, sur fond de désaccords balkaniques (guerres de Bosnie et du Kosovo) avec l'Occident. Les relations russo-américaines se détériorent déjà.

C'est entre les années 1999 (intervention de l'OTAN au Kosovo ; nouvelle guerre de Tchétchénie) et 2003 (crise irakienne ; affaire Khodorkovski) que la Russie post-soviétique se perd dans la « transition » et se détourne de l'Occident. Le facteur essentiel n'est pas la politique russe de George W. Bush - il ne prend ses fonctions qu'en janvier 2001 -, mais l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Il est aujourd'hui patent que ce fait est le point de départ d'une reprise en main du pays par les « organes » (services de sécurité et « siloviki »), avec la Tchétchénie pour banc d'essai. Les attentats islamo-terroristes du 11 septembre 2001 ont un temps éclipsé le nouvel autoritarisme patrimonial (la « voie russe ») de Moscou. Pour partie composée de vieux routiers de la Guerre froide, la première administration Bush affiche certes une ligne de fermeté en rupture avec la période Clinton - de fait, les litiges ne manquent pas (Missile Defense, OTAN, Iran, affaires d'espionnage) -, mais le facteur « Chine » domine alors les esprits à Washington. Lorsque George W. Bush et Vladimir Poutine se rencontrent - à Ljubljana (16 juin 2001) puis à Gênes (22 juillet 2001) -, l'avenir des rapports russo-américains demeure incertain.


L'islamo-terrorisme, vecteur d'un rapprochement spectaculaire

Le « 11-9 » fait basculer la relation Washington-Moscou vers une « nouvelle relation stratégique ». Engagé dans la seconde guerre de Tchétchénie, Vladimir Poutine manie à l'envi le discours anti-terroriste et il bénéficie d'une antériorité certaine en la matière. Le président russe est le premier à joindre George W. Bush dans Air Force One pour l'assurer de son soutien politique, diplomatique et stratégique. Afin de ne pas gêner les réseaux américains d'observation et de détection, il interrompt des manœuvres militaires et ne réagit pas à la mise en alerte des forces américaines. Au-delà de ces signes de bonne volonté, la coopération russo-américaine dans le champ de la lutte contre le terrorisme (la Global War On Terrorism) se renforce ; les services des deux pays croisent leurs renseignements, l'espace aérien russe vers l'Afghanistan est ouvert aux avions américains et Moscou livre des armes à l'Alliance du Nord (commandée par feu Massoud), à la pointe de la guérilla anti-Talibans. C'est donc avec l'appui ouvert de Moscou que les Etats-Unis lancent l'opération Enduring Freedom (octobre 2001), mettent à bas le régime islamiste de Kaboul, pourchassent Al-Qaïda dans les montagnes afghanes et ouvrent des bases en Asie centrale (Ouzbékistan et Kirghizstan). Vladimir Poutine se rend au Bundestag où il prononce un discours en allemand pour y affirmer la vocation européenne et l'orientation occidentale de la Russie (25 septembre 2001).

Cette coopération ad hoc élargie, en phase avec la préférence affichée de Ronald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense, pour des « coalitions de bonnes volontés », a aussi une dimension institutionnelle. Le 24 mai 2002, les Etats-Unis et la Russie signent une « Déclaration conjointe sur la nouvelle relation stratégique » ainsi qu'un traité sur les armes nucléaires stratégiques (traité SORT) qui, sur bien des points, donnent satisfaction à Moscou . Les deux principaux protagonistes de la Guerre froide étudient en commun les voies et moyens d'un futur partenariat énergétique. L'islamo-terrorisme et les connexions dont Oussama Ben Laden bénéficie dans la péninsule Arabique (faveurs, financements occultes et recrutement de terroristes) ont ébranlé l'alliance (pacte de Quincy, 14 février 1945) entre Washington et Riyad ; les Etats-Unis cherchent donc à réduire la part de l'Arabie Saoudite dans les approvisionnements américains en recourant à des tankers chargés de pétrole russe depuis Mourmansk (neuf jours de trajet contre trente-deux jours depuis le golfe Arabo-Persique). Des projets de coopération sur le plan du gaz, avec recours à la technique du GNL (Gaz Naturel Liquéfié), sont aussi envisagés .

Cette embellie des relations russo-américaines a aussi ses prolongements à l'intérieur de l'OTAN avec la déclaration de Rome (28 mai 2002). Les Alliés et la Russie établissent une structure de coopération renforcée - le Conseil OTAN-Russie (COR) -, en lieu et place du Conseil Conjoint Permanent (CCP) institué en 1997, une instance dévaluée depuis la guerre du Kosovo. Enfin, les Occidentaux détournent le regard des champs de bataille tchétchènes et se gardent de toute critique. Au début de l'ère Poutine, le président français, Jacques Chirac, se montre des plus réservés quant au bien-fondé de cette guerre et il fait publiquement part de son mécontentement ; il est cependant bien isolé parmi ses pairs. Plusieurs mois durant, Vladimir Poutine se refuse à le rencontrer et la relation franco-russe est mise à mal. In fine, Jacques Chirac sacrifie la cause tchétchène à son vague projet de « monde multipolaire harmonieux » et remise ses critiques. Invité à Saint-Pétersbourg en mai 2003, le président français se fait même le héraut de la « démocratie russe », posée en exemple pour les pays les plus avancés sur le plan des libertés civiles et politiques .


Du « 11-9 » à la « paix froide »

La dynamique des événements ne tarde à bousculer ce spectaculaire rapprochement, démentant ainsi l'espoir d'une nouvelle « grande alliance » contre l'islamo-terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Ce n'est pas tant la mauvaise volonté américaine, ni même l'affaire irakienne qui mettent fin à cette configuration que l'objectif russe de se voir reconnaître une sphère de contrôle dans l'espace post-soviétique et de reprendre en main tous les leviers de pouvoir. Les liens développés par Khodorkovski avec des hommes d'affaires américains et les ambitions du magnat russe sur la scène politique russe (Khodorkovski est de fait l'anti-Poutine), les « révolutions de couleur » en Ukraine puis en Géorgie (automne 2003 ; hiver 2004-2005), l'élargissement des instances euro-atlantiques (UE et OTAN) à d'anciens satellites et d'ex-républiques soviétiques (les Pays Baltes ; l'Ukraine et la Géorgie à terme ?) et la réaffirmation du lien stratégique entre l'Amérique du Nord et l'Europe, via la Missile Défense, cumulent leurs effets et risquent d'invalider le projet russe de puissance (« derjava ») : l'organisation en interne d'une structure politico-économique inspirée du modèle chinois (verrouillage politique et ouverture économique sélective), noyau dur d'une CEI intégrée et durcie, centrée sur la Russie. A cet égard, il faut insister sur le fait que la perspective d'une UE plus consistante, voisine de la Russie et exerçant son influence en Eurasie, contredit nécessairement les ambitions du Kremlin.

Dans les mois qui suivent la « révolution orange » ukrainienne, considérée à Moscou comme un « 11 septembre russe » ( !), les propos se durcissent et les conflits énergétiques se succèdent, témoignant du fait que les exportations pétro-gazières russes ne sont pas un simple « business » lucratif. Aux embargos divers à l'encontre des voisins de la Russie (Baltes, Polonais, Géorgiens, Ukrainiens et Biélorusses), s'ajoutent les gesticulations militaires au Sud-Caucase où Moscou instrumentalise les conflits ethniques internes (Abkhazie et Ossétie du Sud, en Géorgie). L'objectif est de conserver le contrôle de cet espace, d'en écarter les Occidentaux (projets d'élargissement de l'OTAN et politique de voisinage de l'UE) et de leur interdire le libre accès aux pays producteurs de la Caspienne (projet Nabucco et « corridor énergétique méridional »). Il faut attendre que Vladimir Poutine prononce un discours très hostile - à Munich, le 10 février 2007 -, pour qu'une partie des dirigeants ouest-européens commence à prendre la juste mesure des choses mais certains pratiquent encore le déni (intérêts commerciaux et perspective étroitement nationale). L'affaire géorgienne est un cas d'école : des mois durant, les agissements de Moscou contre Tbilissi sont présentés comme de la désinformation géorgienne et lorsque les Russes passent à l'action militaire directe (août 2008), la responsabilité est rejetée sur la Géorgie ; c'est le type même du discours « infalsifiable ».

Parmi les multiples litiges entre la Russie et l'Occident, la crise nucléaire iranienne, l'installation de systèmes antimissiles en Europe centrale (Pologne et République tchèque) et l'élargissement de l'OTAN à d'ex-républiques soviétiques (Géorgie, Ukraine) sont présentés à Moscou comme autant de casus belli. La Russie renforce son partenariat géopolitique avec l'Iran (coopération nucléaire et spatiale, ventes d'armes) et revendique un droit de veto implicite sur les décisions de l'OTAN, via le COR, cherchant ainsi à faire reconnaître de nouvelles lignes de partage en Europe, envers et contre la volonté des pays concernés (membres de l'OTAN et pays candidats). Les allers-retours, entre Washington et Moscou, de Condoleezza Rice (secrétaire d'Etat) et de Robert Gates (secrétaire à la Défense), pour renouer les fils du « partenariat stratégique » et convaincre les dirigeants russes du bien-fondé de la Missile Defense, ne suffisent pas .

George W. Bush s'engage alors dans une négociation directe avec son homologue russe qu'il reçoit à Kennenbunkport (Maine), le 2 juillet 2007. L'année suivante, Vladimir Poutine lui rend la pareille, à Sotchi, le 6 mars 2008, peu avant le passage de témoin à son successeur. Une « feuille de route » est signée, avec des termes qui annoncent la déclaration Obama-Medvedev d'avril 2009, mais rien n'y fait. Ce ne sont pas les facteurs interpersonnels qui sont en cause (la personnalité de George W. Bush, comme on voudrait s'en convaincre) mais des oppositions de fond, élémentaires, entre les ambitions russes dans l' « étranger proche » d'une part, l'attractivité à l'Est du système de coopération géopolitique Europe-UE-OTAN et du modèle occidental d'autre part.

Les conflits rebondissent d'un domaine à l'autre. Les pays européens ne parviennent pas à renégocier les termes de leurs « partenariats » avec la Russie, dans le cadre de l'UE comme dans celui de l'OTAN, et les dirigeants russes s'efforcent de les diviser en jouant sur les relations bilatérales (Russie-Allemagne, Russie-Italie, Russie-France), ou sur d'anciennes solidarités historico-religieuses (Grèce, Bulgarie, Serbie) confortées par la « diplomatie des matières premières » (contrats pétroliers et gaziers, oléoducs et gazoducs). En août 2008, la guerre russo-géorgienne et l'annexion de facto de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud déchirent le voile. Les relations UE-Russie et OTAN-Russie sont interrompues et, privées de dynamisme, ne reprennent que partiellement à l'automne 2008. S'agit-il là d'une victoire diplomatique russe ? Les illusions des années 1990 se sont dissipées et rien ne sera plus comme avant. D'embarras géopolitique persistant, la Russie est redevenue un problème de sécurité ; en la matière, les dénégations sont trop systématiques pour ne pas être suspectes. L'horizon fait défaut.


« Story-telling » et Realpolitik

C'est dans ce contexte géopolitique que la diplomatie Obama de « la main tendue » s'inscrit, une posture rationaliste-moraliste déjà mise à mal sur le front de la contre-prolifération, en Corée du Nord comme en Iran. Cette sympathique rhétorique, séduisante pour des esprits occidentaux post-modernes qui se refusent à penser la guerre et le conflit, a pour fondement la conviction intime qu'en dernière instance tout dépendrait, en bien comme en mal, des Américains. On reconnaîtra là une application concrète de cette croyance selon laquelle il y aurait des hommes-acteurs, les Occidentaux, et des hommes-effets, le reste du monde. Il s'agit en somme d'une forme inversée d'ethnocentrisme qui charge de tous les maux de la Terre une petite partie de l'humanité et, inversement, considère comme irresponsables les quatre-cinquièmes des hommes.

Cet état d'esprit témoigne de la prégnance du tiers-mondisme, une idéologie dont les éléments de base (les idéologèmes) font désormais partie intégrante de la doxa et du sens commun. La pose est d'autant plus commode que, pour la plupart de ceux qui le relaient, ce néo-conformisme ne change strictement rien à leur situation personnelle (à brève échéance du moins); c'est en cela qu'il s'agit d'un moralisme, c'est-à-dire d'un discours moralisateur adressé à autrui. Nous sommes bien loin d'une haute morale, par définition individuelle et traduite en actes, dont il faut assumer les conséquences, voulues et non-voulues.

Naïveté du nouveau locataire de la Maison Blanche ? L'homme n'a certes pas exercé de responsabilités exécutives, cela a été dit et répété pendant la campagne électorale, et n'a aucune expérience sur le plan international. Cela dit, la vie politique américaine est rude et l'on peut penser qu'elle apporte son lot d'enseignements quant à la nature humaine. Il semble qu'il faille plutôt voir dans le discours globalisé d'Obama une entreprise de communication (du story-telling) visant à temporiser - il faut ouvrir des espaces de manœuvre -, refonder le soft power américain et dissimuler une approche en termes de Realpolitik. C'est peut-être là où le bât blesse. Une Realpolitik sommaire peut fort bien se réduire à une sorte d'utilitarisme, fondé sur une anthropologie et une praxéologie qui mutilent le réel.

En dernière instance et selon cette approche, la Realpolitik consisterait à combiner des forces, la pleine compréhension par chaque acteur de son intérêt propre suffisant à lever bien des obstacles. En l'occurrence, les Russes partageraient de larges intérêts avec les Etats-Unis - sur le nucléaire iranien et la stabilisation de l'Afghanistan, entre autres -, et le processus de négociation (le fameux « dialogue ») permettrait de les harmoniser. Le déchaînement des forces élémentaires, l'irrationalité humaine, les passions tristes (haine et ressentiment) et tout ce qui entre dans le champ de la volition ne sont pas nécessairement bien pris en compte par une Realpolitik marquée par les pratiques diplomatiques d'une époque où l'Histoire demeurait un fait élitaire.

La Révolution française et l'irruption des haines populaires sur les champs de bataille européens avaient déjà ébranlé l'ordre international hérité des traités de Westphalie ; le congrès de Vienne et la Sainte Alliance n'ont pu que temporairement endiguer ce flux. Aujourd'hui, c'est la plus grande part de l'humanité qui est politiquement active, c'est-à-dire mise en mouvement par le jeu des passions et parcourue de revendications hostiles. On songe à une forme de Némésis historique, dont les premiers signes étaient déjà identifiables au lendemain de la Grande Guerre, et il est significatif de constater que la Russie - héritière historique d'un puissant empire qui à bien des égards force le respect -, joue avec ces forces pour les retourner contre l'Occident. Gardons en mémoire les diatribes de Poutine contre l' « impérialisme » et le « casque colonial » des Occidentaux. Faut-il y voir une réminiscence du congrès de Bakou (1920)?


Le désarmement nucléaire comme fil conducteur?

L'objectif de la diplomatie Obama est d'ouvrir la possibilité d'un grand marché entre Américains et Russes en identifiant de communs intérêts en Iran (refoulement pacifique du programme nucléaire par un jeu de pressions concertées) et en Afghanistan (stabilisation du pays et réduction de l'islamisme taliban, qui menace de déborder sur les ex-républiques soviétiques d'Asie centrale). A ces fins, les Etats-Unis pourraient renoncer à l'installation d'un site antimissile en Europe centrale (justifié par la menace iranienne), examiner de possibles coopérations OTAN-Russie en ce domaine et privilégier la mise en place d'un consortium géopolitique régional, avec la Russie, pour régler dans la durée la question afghane.

Dans l'immédiat, les Etats-Unis ont fait savoir qu'ils suspendaient le déploiement des missiles et du radar prévus en Europe et ils ont proposé à la Russie de négocier un nouveau traité bilatéral dans le domaine des armements nucléaires stratégiques . Ce type de coopération bilatérale est particulièrement privilégié par Moscou ; outre le fait que l'arsenal russe vieillit et qu'il doit être restructuré au moindre coût, une telle négociation permet de mettre en valeur la parité nucléaire russo-américaine, l'un des rares compartiments de la puissance où la Russie continue de peser, et de rehausser le rang du pays sur la scène internationale.

Dans cette négociation - d'envergure planétaire au regard de la portée des engins et des contrecoups sur les rapports de force avec la Chine -, les deux parties sont convenues de se féliciter du nouveau cours des relations russo-américaines. Outre les délais nécessaires à l'élaboration, la signature et la ratification d'un tel traité (le traité START expire le 5 décembre 2009), cette négociation risque pourtant d'achopper sur la corrélation établie par la partie russe entre forces nucléaires stratégiques et systèmes antimissiles. Alors que les Etats-Unis lient le sort du site centre-européen au refoulement du programme nucléaire iranien, la Russie s'y refuse et entend intégrer cette question dans la négociation du futur traité de maîtrise des armements. Il faudra bien que l'une des deux parties cède sur ce point et un recul des Etats-Unis aurait des conséquences sur les alliances ; les menaces balistico-nucléaires se font pressantes et les puissances à portée de tir éprouvent le besoin d'armes antimissiles . Le « palais de cristal » européen pourrait-il donc faire l'économie de ces systèmes éminemment stratégiques?


La contre-prolifération et les ambivalences russes

En contrepartie de la « positive attitude » dont il fait montre dans son approche de la Russie, Barack Obama attend de celle-ci qu'elle s'engage davantage avec plus de fermeté sur le front de la contre-prolifération. Les choses ne semblent pas aller dans ce sens. En ce qui concerne la Corée du Nord, on observe bien quelques timides mouvements ; Moscou a voté la résolution 1874 (12 juin 2009) et semble rapprocher ses positions de celles du Japon et de la Corée du Sud. Il reste à voir si la Russie contribuera effectivement aux sanctions au lieu de s'employer à vider de leur contenu les résolutions de l'ONU. Par ailleurs, son emprise sur les réalités géopolitiques régionales est faible, l'activisme diplomatique de Moscou en Asie-Pacifique n'a pas porté ses fruits, et le positionnement de la Chine est autrement plus important. Pour Pékin plus encore que pour Moscou, Pyongyang est un allié essentiel au maintien du statu quo régional ; la Chine ne voudrait pas sur ses frontières d'une Corée réunifiée et alliée aux Etats-Unis.

En Iran, le rôle de la Russie est autrement plus important. Sans être à proprement parler alliés, c'est-à-dire liés par une clause d'assistance mutuelle, Moscou et Téhéran entretiennent d'importantes relations d'ordre nucléaire, spatial et militaire (ventes d'armes). Les enjeux croisés sont très importants – songeons simplement à la centrale nucléaire de Bouchehr, sur le Golfe, construite par la Russie - et l'on sait que Moscou s'est engagé à vendre des systèmes antiaériens de pointe, les S-300, susceptibles de nuire à un hypothétique raid aérien (américain ou israélien) sur les installations nucléaires iraniennes. Le contrat ne semble pas avoir été exécuté mais, si la situation se tendait plus encore, les dirigeants russes n'excluent pas la livraison de ces systèmes. Au total, on imagine difficilement que la Russie sacrifie ses étroites connexions avec l'Iran au prétexte de lutter contre la prolifération nucléaire. Alors même que le directeur de l'AIEA (Agence Internationale de l'Energie Atomique), Mohammed El Baradei, confie enfin son sentiment intime – Téhéran poursuit un programme nucléaire militaire (BBC, 17 juin 2009) –, les dirigeants russes ont pour tactique de nier les faits .

Si l'on raisonne dans un espace-temps abstrait, avec pour seul point de référence la portée des armes, il semble évident que la Russie n'a pas intérêt à voir l'Iran accéder au nucléaire guerrier mais les faits sont les faits, et la perspective d'un Iran nucléarisé doit être mise en balance avec l'importance des liens entre Moscou et Téhéran. L'Iran est un pays clef de la géopolitique eurasienne et Moscou préfère se résigner à un Iran nucléaire plutôt que de voir ce pays sombrer dans le chaos sous l'effet des frappes américaines, avec de probables conséquences dans l'ensemble du Moyen-Orient et de l'aire Caspienne dont la Russie participe. « De deux maux, choisis le moindre ». De surcroît, beaucoup à Moscou ne pensent pas que des armes nucléaires iraniennes puissent être dirigées contre la Russie et mises au service d'une politique hostile à leurs intérêts ; il est même probable que certains dirigeants, adeptes de la politique du pire (la pire des politiques), envisagent de manière favorable une stratégie iranienne de sanctuarisation agressive qui bousculerait l'hégémonie américano-occidentale dans le golfe Arabo-Persique et au Moyen-Orient. Si jamais les Etats-Unis intervenaient en force contre l'Iran, la Russie se placerait alors sur le fléau de la balance et, dans ses relations avec les puissances du « Sud », s'efforcerait de récolter les gains d'une attitude et d'une politique anti-occidentales.


Le théâtre afghan et le jeu altaïque de la Russie

Sur le théâtre afghan, l'ambassadeur de la Russie auprès de l'OTAN, Dimitri Rogozine, et le Kremlin n'ont de cesse de rappeler qu'ils partagent le souci des Alliés de vaincre les Talibans et de stabiliser le pays. Malgré les désaccords sur la Géorgie et la mise en sommeil temporaire du COR, la coopération antiterroriste continuerait à fonctionner de manière satisfaisante. Le renforcement de l'engagement américain dans la zone « AfPak », l'accroissement des effectifs et l'extension des opérations aux zones frontalières pakistanaises(la « guerre d'Obama ») requièrent une coopération russo-occidentale renforcée, d'autant plus que la « route du sud » (du port pakistanais de Karachi à la passe de Khyber) - voie par laquelle transitent plus des trois quarts de l'approvisionnement du corps expéditionnaire allié -, est menacée par la diffusion de l'islamisme taliban dans les provinces nord-ouest du Pakistan (les zones tribales qui échappent à l'emprise du pouvoir central). Les « routes du nord », depuis la Baltique via la Russie et les pays d'Asie centrale, gagnent en importance et le rôle de la Russie ne doit donc pas être négligé.

Là encore, l'attitude russe est pour le moins ambivalente. Précédemment, Moscou avait soutenu Islam Karimov, le chef d'Etat ouzbek, dans sa décision de fermer la base aérienne de Karshi-Khanabad (« K-2 »), en juillet 2005, suite à la condamnation par les occidentaux de la tuerie d'Andijan (mai 2005) ; cette exigence avait été accompagnée d'une déclaration de l'Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS). Dans les années qui suivirent la Russie et l'OCS ont régulièrement appelé à la fermeture des bases centre-asiatiques (Termez, en Ouzbékistan ; Manas, au Kirghizstan), sans que ces déclarations ne soient suivies d'effets. Le 4 février 2009, la manœuvre a été réitérée ; lors d'une visite à Moscou, le président kirghiz, Kourmanbek Bakiev, annonçait la fermeture de la base aérienne de Manas, menaçant ainsi la logistique des opérations de l'OTAN en Afghanistan. Quelques heures auparavant, le président kirghiz avait obtenu de Moscou un prêt substantiel (2 milliards de dollars). A rebours du discours selon lequel la Russie voulait renforcer sa coopération en Afghanistan, les dirigeants russes cherchaient à évincer les Etats-Unis d'Asie centrale et à contrôler les axes d'approvisionnements des troupes de l'OTAN . Depuis, les Etats-Unis ont repris langue avec Kourmanbek Bakiev, avec succès (un nouveau bail a été signé), obtenu des facilités en Azerbaïdjan, au Turkménistan, voire même en Ouzbékistan. La manœuvre russe a donc provisoirement échoué mais cette tentative a mis en évidence l'état d'esprit qui règne au Kremlin.


Le projet d'une « OTAN » russo-asiatique

Pour assurer à la Russie la domination de son « étranger proche » et contrebalancer l''influence de l'OTAN en Eurasie, l'objectif du tandem Poutine-Medvedev est de transformer l'OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective) en une véritable alliance militaire . Selon les plans russes de début 2009, Manas devait passer sous contrôle de l'OTSC bientôt transformée en une « OTAN » russo-asiatique, des soldats russes prenant le relais des Américains et de leurs alliés. Triomphaliste, Dimitri Rogozine anticipait une déroute occidentale en Afghanistan et posait déjà la Russie en alternative géopolitique : « Les autorités kirghizes sont en droit de penser que la base de Manas sera plus utile à la forces rapide [prévue dans le cadre de l'OTSC] qu'à des troupes étrangères qui ne respectent pas la souveraineté du pays, expliquait-il, l'échec américain en Afghanistan constitue une grave menace pour les pays de la région. Les actions militaires qui font des dégâts parmi la population civile afghane ne font qu'affaiblir le camp des anti-Talibans » (TV-Vesti, 4 février 2009). Ce n'était pas là simple forfanterie.

De fait, Moscou entend bien renforcer la coopération militaire régionale - principalement dans le cadre de l'OTSC (la CEI dispose de quelques attributs sécuritaires) -, en contrepartie d'une aide financière dispensée aux pays membres par l'intermédiaire d'un fonds anticrise institué lors de la réunion des pays membres de l'OTSC, à Moscou, le 4 février . Le lendemain même était annoncée la mise sur pied d'un corps de réaction opérationnel de 10 000 hommes, sous commandement russe, dont une partie serait basée à Manas. La Biélorussie acceptait aussi la mise en place d'une défense aérienne conjointe avec la Russie, socle d'un système commun à l'OTSC, depuis les frontières orientales de l'OTAN jusqu'à celles de la Chine, avec un centre de contrôle unique en Russie. Ces initiatives militaires sont censées former le noyau dur de l'espace post-soviétique, garant de la stabilité en Asie centrale et rivaliser à terme avec les structures de l'OTAN. « Ce seront des unités redoutables, martelait Dmitri Medvedev, leur potentiel de combat sera comparable aux forces similaires de l'OTAN ».

Ce discours est autrement plus clair et vrai que celui dispensé sur la bonne volonté russe à l'égard de l'OTAN en Afghanistan, même s'il ne faut pas négliger l'intérêt profond de Moscou à la stabilisation de ce pays (mais les intérêts mènent-ils le monde ?) . Toutefois, les événements des dernières semaines ont montré les difficultés que la Russie rencontrait dans son projet de transformation de l'OTSC en une « OTAN » russo-asiatique. Réuni à Moscou, le sommet des chefs d'Etat de l'OTSC, le 14 juin dernier, n'a pas été à la hauteur des attentes du Kremlin. Simultanément confronté à un embargo commercial russe sur les produits laitiers et au refus de Moscou de lui verser en dollars les aides financières promises début 2009, le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, a refusé de participer au sommet de Moscou et d'avaliser le document final sur la création d'un corps de réaction opérationnel dans le cadre de l'OTSC . Anticipant un possible coup de force russe, l'affaire géorgienne aura marqué les esprits au sein de la CEI, le président biélorusse a menacé le Kremlin d'une « nouvelle Tchétchénie » en cas d'agression extérieure .

Lors du sommet de Moscou, Islam Karimov, le président ouzbek, s'est gardé de toute opposition frontale à l'encontre de son homologue russe mais il a mis en œuvre des tactiques dilatoires en posant un certain nombre de conditions qui vident de sens le projet d'un corps de réaction opérationnel unifié : la participation de l'Ouzbékistan à une telle structure ne se ferait qu'au cas par cas, l'accord devrait être systématiquement ratifié par les parlements nationaux et l'entrée des forces sur le territoire d'un membre de l'OTSC ne pourrait se faire que si elle n'était pas exclue par la Constitution et la législation du pays en question. A l'évidence, Islam Karimov craint la reconstitution d'une sorte de pacte de Varsovie au service d'une nouvelle doctrine de souveraineté limitée (une « doctrine Poutine »). Le Kazakhstan, l'Arménie, le Kirghizstan et le Tadjikistan ont pour leur part entériné les projets russes. Voisin immédiat de la Russie, le Kazakhstan est militairement dépendant de cette dernière et l'instabilité de son environnement géopolitique menace de déborder sur ses frontières. L'Arménie est en conflit permanent avec l'Azerbaïdjan et craint une nouvelle guerre au Nagorno-Karabagh ; quant au Tadjikistan, il se trouve sur la ligne de front de la lutte contre l'islamisme et les Talibans. Ce sont là des pays qui recherchent l'appui de la Russie et des garanties de sécurité.

A la « mauvaise volonté » de certains pays membres de l'OTSC, qui refusent la domination russe, s'ajoute le jeu trouble du Kirghizstan autour de la base de Manas, un « hub » géostratégique essentiel pour les opérations en Afghanistan. Après avoir demandé le départ, en liaison avec Moscou, des soldats américains (1200) et de leurs alliés, Kourmanbek Bakiev a infligé un revers à la Russie. Le 22 juin 2009, les Etats-Unis et le Kirghizstan sont parvenus à un accord qui autorise le maintien sur place des troupes occidentales, la base aérienne est désormais qualifiée de « centre de transit », moyennant le doublement des sommes versées au Kirghizstan (150 millions de dollars par an) et la négociation d'un partenariat élargi entre les deux pays . Par contrecoup, le voisin ouzbek se sent désormais encouragé à renouer les liens avec les Etats-Unis et renforcer la base de Termez, autre point clef dans l'approvisionnement des forces de l'OTAN en Afghanistan. Au final (mais la partie n'est pas terminée), l'OTSC ne semble pas pouvoir être prochainement transformée en une « OTAN » russo-asiatique, les efforts de Moscou étant contrecarrés par les réalités du pluralisme géopolitique de l'espace post-soviétique.


Une « puissance pauvre » en marge d'une nouvelle bipolarité?

La Russie éprouve aussi les limites de sa puissance effective dans le cadre de l'OCS (Organisation de coopération de Shanghaï), une structure de coopération eurasiatique fondée en 2001, sur la base du Groupe de Shanghaï institué cinq ans plus tôt pour régler les questions frontalières et lutter contre le séparatisme et le terrorisme. Le tandem sino-russe utilise l'OCS pour conduire un certain nombre d'exercices militaires et comme tribune contre l' « unilatéralisme » des Etats-Unis . Aussi l'OCS a-t-elle été perçue comme une sorte de coalition « anti-hégémonique », préfiguration d'une future « OTAN » eurasiatique qui serait le vecteur du « siècle altaïque » à venir. Plus concrètement, l'OCS est une structure sécuritaire au sein de laquelle Pékin et Moscou cherchent tout à la fois à coopérer pour rehausser leur statut et à se neutraliser réciproquement. Au moyen de l'OCS, la Russie cherche à contrôler la percée de la Chine en Asie centrale, celle-ci utilisant cette même organisation pour consolider les positions acquises ces dernières années dans le « milieu des empires ». Outre les marchés, Pékin vise les importantes ressources énergétiques de la Caspienne qui lui permettraient de réduire sa dépendance à l'égard du golfe Arabo-Persique et des détroits indonésiens (le « dilemme de Malacca). Forum économique et sécuritaire, l'OCS est aussi une sorte de club regroupant des régimes autoritaires en rupture de ban avec les principes démocratiques reconnus au sein de l'OSCE (Organisation de Sécurité et de Coopération en Europe).

Pour la Russie, les sommets de l'OCS offrent l'opportunité de mettre en scène le leadership qu'ils revendiquent et d'envoyer des messages aux Occidentaux, les menaçant implicitement de basculer vers l'Orient s'ils n'avalisent pas leur projet de puissance et leurs revendications. Dernier exercice en date, le sommet d'Iekaterinbourg, les 15-16 juin 2009, à la croisée de l'Europe et de l'Asie. Dmitri Medvedev a utilisé ce sommet (immédiatement suivi d'un sommet du BRIC) pour exposer une nouvelle fois les ambitions russes sur le plan monétaire et financier. L'idée est de prendre la tête d'une coalition d'Etats décidés à imposer aux Etats-Unis une réforme du système monétaire international et de remettre en cause la dominance du dollar comme monnaie de réserve et instrument de transaction. Dans cette nouvelle architecture mondiale, organisée autour de quelques pôles étatiques dont les devises auraient un rôle régional, le rouble deviendrait l'une des monnaies de référence. Ce projet recoupe la volonté d'imposer la devise russe à la Biélorussie et aux pays voisins, membres de l'OTSC et de la CEI. Détentrice d'immenses réserves de change en dollars, la Chine s'est gardée de suivre la Russie sur une telle voie et les projets russes n'ont guère avancé ; le communiqué final d'Iekaterinbourg ne mentionne ni le rouble, ni le yuan comme possibles concurrents du dollar.

L'incapacité de Moscou à transformer l'OTSC sur le modèle de l'OTAN, - ou encore à instrumentaliser l'OCS pour se poser en rival des Etats-Unis et possible leader d'une coalition « anti-hégémonique » -, remet en cause les perspectives et les ambitions de la Russie sur la scène internationale. L'objectif géopolitique d'une forme d'union post-soviétique dans les limites de la CEI – une zone d'intégration politique, monétaire et militaire, centrée sur la Russie – montre que les dirigeants russes raisonnent en termes de partage du pouvoir mondial et de grands espaces autocentrés. A côté des Etats-Unis, à la tête du monde occidental, et de la Chine populaire, centre politique et économique de l'Asie orientale, la Russie constituerait la puissance tierce de ce « mundus tripartitus », alternative au « one-worldism » légué par les présidents américains Wilson et Roosevelt. On peut s'interroger sur le bien-fondé de cette aperception, une variation de plus sur le « monde multipolaire » censé succéder au « monde unipolaire » des années 1990.

Ce pronostic soulève plusieurs questions. La pluralité des foyers démographiques et centres de civilisation, des zones économiques et des « puissances » serait-elle donc chose nouvelle ? Dans les années 1970, Henry Kissinger évoquait déjà une « pentagonale » pour penser et conceptualiser la politique étrangère américaine… Le « monde unipolaire » a-t-il seulement existé ailleurs que sous la plume d'éditorialistes ? Tout au plus a-t-on effectivement éprouvé le sentiment d'un « moment unipolaire ». Enfin, un monde polycentrique induit-il mécaniquement un système multipolaire ? Au vrai, bien peu de centres politiques sont à même d'exercer un pouvoir de coercition et d'influence d'ordre planétaire, et donc de « polariser » la scène internationale. Pour sa part, la Russie n'a pas encore réussi à organiser et structurer l'« étranger proche » qu'elle revendique dans l'espace post-soviétique ; quant à l'Union européenne, elle forme un vaste et lâche Commonwealth paneuropéen qui peine à dégager une volonté unitaire et une capacité d'action collective. La « multipolarité » relèverait-elle des discours de type performatif ?

Dans l'actuel interrègne, l'unification par la technologie, l'économie et l'écologie pousse dans le sens de formes de gouvernance planétaire mais en revanche, la puissance des forces de fragmentation et des « passions tristes » fait redouter un basculement dans l'anarchie et le chaos. Entre unicité et multiplicité, le point d'équilibre (instable) ne serait-il pas une bipolarité imparfaite entre d'une part l'Occident (ou un « Post-West » élargi aux « démocraties de marché »), et d'autre part la Chine? Quelle autre « puissance » que la Chine pourrait donc disposer du « pouvoir national total » requis pour soutenir les pays refusant les normes occidentales et s'investir dans les zones nécessaires au développement ? Dans une telle configuration internationale , le territoire russe et son « étranger proche » seraient soumis aux influences contraires de deux « grands attracteurs » (le modèle occidental et ses métropoles sur les élites et une partie de la population ; le dynamisme géoéconomique de la Chine et de l'Asie-Pacifique sur la Sibérie et l'Extrême-Orient russe) et il serait bien difficile pour Moscou de former un troisième pôle. N'observe-t-on pas d'ores et déjà des phénomènes de ce type en Asie centrale ? Plus généralement, tout système international - parce qu'il est parcouru de conflits - n'évolue-il pas nécessairement vers un regroupement des forces et une configuration bipolaire, sous la forme d'alliances et de coalitions?


Le front russo-géorgien et les enjeux sud-caucasiens

Les considérations générales et le souci de trouver les voies d'un futur « grand arrangement », autant que faire se peut, entre la Russie et les puissances occidentales ne doivent pas occulter les questions qui fâchent et les zones de conflit plus réduites où des dynamismes antagoniques sont au contact. Ainsi la situation sur le front russo-géorgien est-elle plus importante pour les relations russo-occidentales que l'état des questions nucléaires stratégiques. La réunion Conseil OTAN-Russie à Corfou, le 27 juin 2009, n'a pu faire l'impasse sur le conflit russo-géorgien d'août 2008 et ses conséquences sur le terrain . Le président du conseil italien, Silvio Berlusconi, s'est présenté comme le mandataire de Dmitri Medvedev, désireux de laisser en arrière le passé et de pratiquer une coopération totale ; le pragmatisme allait porter les participants vers des questions essentielles comme l'Afghanistan, la piraterie somalienne, la prolifération et le terrorisme. A l'issue du Conseil, le secrétaire général de l'OTAN, Jaap de Hoop Scheffer s'est félicité de l'effort commun pour aussitôt préciser que des « différends fondamentaux » demeuraient entre l'OTAN et la Russie au sujet de la Géorgie. De son côté, Sergueï Lavrov a évoqué des « échanges très francs » et affirmé que la reconnaissance par la Russie des régimes sécessionnistes était « irréversible ». Les prétendus « faiseurs de paix » n'abordent guère le sujet mais à l'évidence, l'affaire géorgienne ne peut être mise entre parenthèses.

De fait et en dépit du « plan de paix » Medvedev-Sarkozy (12 août-8 septembre 2008), rien n'est réglé. Que l'on juge de la chose à partir des faits observables sur le terrain : la Russie a d'abord reconnu l'indépendance des régions sécessionnistes (une annexion de facto), plus que doublé sa présence militaire (construction de nouvelles bases) et interdit aux observateurs européens l'accès aux territoires conquis ; dès lors, peut-on sérieusement parler de retour au statu quo ante ? Depuis, des accords ont été signés entre d'une part le Kremlin, d'autre part les leaders d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, accords aux termes desquels la Russie prend directement en charge la sécurité et la défense des lignes de front qui isolent les républiques sécessionnistes du reste de la Géorgie (accords du 30 avril 2009). Moscou s'oppose par ailleurs au renouvellement des missions OSCE et ONU dans les territoires sécessionnistes, et refuse de prolonger le mandat d'observateurs déployés après la guerre. Sur les lignes de cessez-le-feu, les tensions sont fortes et divers incidents ont entraîné la mort d'une douzaine de Géorgiens. Les Russes n'ont de cesse de dénoncer le militarisme géorgien, comme pour préparer les esprits à de nouvelles opérations dans l'été. Le 29 juin 2009, les manœuvres « Caucase 2009 » ont commencé ; l'an passé, ce type d'exercices avait précédé la guerre d'août 2008.

Les adeptes du stalino-matérialisme qui voudraient réduire une question géopolitique à ses grandeurs quantitatives (superficie, population, richesses) ont du mal à prendre en compte la singularité de cet événement guerrier ; le pseudo-bon sens pousserait à sacrifier la petite Géorgie au profit du géant pétro-gazier russe (« La Géorgie ? Combien de barils ? »). Ce pays riverain de la mer Noire, comme l'ensemble euro-atlantique (UE-OTAN) depuis 2004, occupe une position clef, essentielle pour accéder en toute liberté aux ressources de la Caspienne et contribuer au pluralisme géopolitique de l'Asie centrale. Son orientation occidentale est essentielle pour le développement des projets que l'Union européenne s'efforce de développer (gazoduc Nabucco, « corridor énergétique méridional », « Partenariat oriental »), afin de sécuriser les approvisionnements européens et de promouvoir un arc de sécurité et de bonne gouvernance sur ses confins orientaux. Ces projets civils ne sauraient aboutir sans un volet sécuritaire, d'où l'importance des partenariats et des coopérations que l'OTAN développe en Géorgie et dans le Caucase du Sud. Un simple exemple : comment demander à l'Azerbaïdjan, producteur d'énergie essentiel pour le Nabucco, et à d'autres pays de la Caspienne, de s'engager dans ce projet si l'on ne veut pas prendre sa part des risques et aller de l'avant ?


Risques et menaces

L'affaire géorgienne a aussi servi de révélateur. Jusqu'à l'été 2008, le discours selon lequel la méfiance des pays d'Europe centrale et orientale à l'encontre de la Russie relevait d'une sorte de traumatisme post-soviétique (une angoisse irrationnelle, donc) dominait ; « la grande affaire de la Russie, lisait-on, ce sont les affaires ». Tout au plus la Russie faisait-elle figure de partenaire difficile, certes, mais gérable. Depuis, les visions et les représentations des uns et les autres, dans l'UE et dans l'OTAN, sont plus convergentes qu'on ne veut bien l'admettre. De vague embarras géopolitique, la Russie est redevenue un problème de sécurité et les débats (feutrés) portent plus sur les modalités (niveau de risque, pérennité et acuité) que sur le fond du problème. On divergence dans l'évaluation de la menace mais celle-ci est désormais prise en compte par les plus complaisants.

D'aucuns ont voulu se persuader que la baisse des cours du pétrole et les difficultés économiques allaient calmer les ardeurs et les ambitions du tandem Poutine-Medvedev ; la dernière « guerre du gaz » entre la Russie et l'Ukraine, en janvier 2009, a montré que Moscou était prêt à perdre beaucoup d'argent pour atteindre ses objectifs politiques. Dans le cadre du « partenariat » UE-Russie, les négociations sont bloquées, la Russie se montre intraitable et elle prétend changer unilatéralement les règles du jeu ; lors du sommet de Khabarovsk (UE-Russie), le 21 mai 2009, Dmitri Medvedev a réitéré son refus de ratifier le traité sur la Charte de l'énergie et proposé un nouveau texte . Ce conflit énergétique global menace de rebondir à nouveau en Ukraine, mise à genoux par la crise économique, et la Russie entend écarter l'UE de ce pays dont Vladimir Poutine et nombre de dirigeants russes nient la légitimité historique et remettent en cause l'intégrité territoriale.

Ce n'est pas la seule Ukraine qui est directement menacée mais l'ensemble des pays qui se trouvent sur l'isthme Baltique-mer Noire, cette « frontière épaisse » entre la Russie et l'Europe. Le cas de la Biélorussie a déjà été abordé. Les Pays Baltes sont quant à eux régulièrement l'objet de manœuvres et de déclarations inamicales, voire d'actes hostiles (embargos divers, raids informatiques) visant à les déstabiliser. La Pologne et la République tchèque ont été nominativement désignées comme cibles potentielles des missiles russes. D'autres pays européens se voient proposer des offres énergétiques et financières alléchantes, Gazprom n'hésitant pas à multiplier les engagements irréalistes pour faire passer ses gazoducs et diviser les Européens (Hongrie, Bulgarie, Serbie). En Moldavie, la Russie manipule le « conflit gelé » de Transnistrie, pour contrôler le gouvernement central, et porte de gravissimes accusations contre la Roumanie, qui aurait fomenté un coup d'Etat à Chisinau (suite à l'élection législative d'avril 2009).

Plus généralement, ces dernières années ont vu s'affirmer et se diffuser un discours géopolitique global, explicitement révisionniste, visant à réhabiliter l'URSS dans son histoire et dans son enveloppe spatiale. Staline lui-même est présenté comme un « grand manager » dont le bilan serait globalement positif. Qu'ajouter à cela ? Il faut décidément prendre au sérieux les multiples signes, les discours et les représentations que la Russie-Eurasie, ses dirigeants du moins, nous adresse. A Moscou, les 6-8 juillet 2009, le président américain aura d'autres priorités à aborder que celle d'un nouveau traité nucléaire. Le leadership atlantique a ses exigences et seul le plein exercice des responsabilités internationales confère la légitimité.

Abstract

During the 90s, Russia was described as a country-continent involved in a difficult transition towards a market economy and a constitutional and pluralistic form of government. Since then, the “Russian way” and the oil-mercantilism stance have prevailed over the transition and the Kremlin's will to impose on the neighbouring countries a sphere of control is the origin of various conflicts with the Westerners. Could the Obama Administration manage to overcome these contradictions in order to establish a special relationship with Russia, without jeopardizing the security of its European Allies? The Corfu meeting of the Nato-Russia Council (NRC) on the 27th of June, 2009, was meant to reopen a “dialog” and the Obama's visit to Moscow, from July 6th to the 8th, should revive the Western-Russian cooperation. Yet, substantial disagreements remain and restrain the possibilities. In return, China and former Soviet republics endanger Russia's projects and ambitions in the “near abroad”.


Docteur en géographie-géopolitique (Université de Paris VIII), Jean-Sylvestre Mongrenier est chercheur à l'Institut Français de Géopolitique et chercheur associé à l'Institut Thomas More. 


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