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par Jean-Sylvestre Mongrenier, le jeudi 04 février 2010

Il en va du tiers-mondisme comme des autres idéologies de masse du siècle passé ; les grandes sottises collectives refluent mais les âmes sont idéologisées et les perceptions sont distordues. Ainsi l'élection présidentielle ukrainienne n'occupe-t-elle guère plus de place dans l'esprit public qu'un coup de force dans un pays africain quelconque ou une énième plate-forme altermondialiste. Pourtant, l'issue du second tour et la possible victoire d'un représentant de l'"Ostalgie" post-soviétique, le 7 février prochain, ne seraient pas de bon augure quant au sort d'une Europe une et entière.





L'élection présidentielle ukrainienne se déroule dans un pays mis à mal par les difficultés économiques et les blocages politiques des dernières années. Inhérentes à la nature humaine, tant individuelle que collective, et donc au jeu politique de toute nation, les inévitables querelles de pouvoir entre les chefs de la "révolution orange" et l'énergie qu'elles ont mobilisée n'ont pu être mises au service du bien commun en raison notamment des incertitudes quant à la forme du régime (régime parlementaire ou régime présidentiel ?).

Les clivages internes à l'Ukraine – entre le centre et l'ouest du pays d'une part, en phase avec le nouvel ordre des choses, et les régions russophones de l'ouest et du sud d'autre part – n'ont pas facilité le rassemblement des forces, cette situation ethnico-linguistique se reportant au plan politico-partisan. Du moins la forte croissance économique, tirée par une forte demande mondiale en acier, permettait-elle à la population de passer outre les blocages politiques et d'ouvrir le champ des possibles, quand bien même les Etats ouest-européens, membres de l'Union européenne et de l'OTAN, ne manifestaient guère d'entrain à ouvrir à l'Ukraine les portes des instances euro-atlantiques. Las. L'Ukraine a été frappée de plein fouet par la crise économique mondiale et le PIB a reculé de quelque 15% depuis l'automne 2008. La monnaie nationale a perdu la moitié de sa valeur et le chômage frappe le cinquième de la population active.

Dans ce difficile contexte, on ne peut que louer la grande ouverture du jeu politique ukrainien, en dépit du regrettable exemple de verrouillage intérieur que donne le Kremlin. Au premier tour de l'élection présidentielle, le 17 janvier 2010, ils étaient dix-huit candidats à s'affronter. Comme prévu, le président sortant - Viktor Iouchtchenko - a été sorti, les 5% de voix qu'il a pu glaner ne le classant qu'au cinquième rang des candidats (les sondages lui promettaient moins encore). Le 7 février prochain, le second tour opposera donc le premier ministre en titre, Ioulia Timochenko, associée-rivale de Viktor Iouchtchenko, au chef du Parti des Régions, Viktor Ianoukovitch, le candidat malheureux de l'élection présidentielle de 2004, lourdement et maladroitement appuyé par Vladimir Poutine (l'Exécutif russe est, cette fois-ci, plus discret mais suit attentivement le cours des événements). Ce dernier a pu faire le plein des voix des régions russophones et rassembler 35% des suffrages, ce qui le place dix points devant le premier ministre. Toutefois, Ioulia Timochenko disposerait d'importantes réserves dans les voix qui se sont portées au premier tour sur les cinq candidats qualifiés de "réformateur", soit environ 28% des suffrages. Bref, rien n'est encore joué et le second tour pourrait être serré.


Entre compatissance et pro-russisme


Vu de France, les rares commentaires officiels de la situation politico-économique ukrainienne oscillent bien souvent entre une vague compatissance empreinte d'hypocrisie - on n'a guère travaillé à mieux insérer l'Ukraine dans le réseau des relations transatlantiques – et neutralité bienveillante envers le candidat pro-russe du Parti des Régions. Tout à leurs calculs prétendument "réalistes" (le "réel" est souvent réduit à de sordides calculs qui occultent l'essentiel), d'aucuns estiment qu'une Russie ayant rétabli en partie son contrôle sur l'Ukraine serait "rassurée" et plus encline à une franche coopération avec les Occidentaux sur les questions qui dominent la conjoncture géopolitique internationale (Iran et Afghanistan). Peu leur chaut que la Russie n'ait en rien répondu de manière concrète à la diplomatie de la main tendue pratiquée par l'administration Obama ; il faudrait aller encore plus loin en ce sens, quitte à vendre des systèmes d'armes de pointe à ce pays de manière à renforcer les évolutions positives que l'on escompte. On songe bien sûr au projet de vente d'un Mistral, bâtiment de projection et de commandement destiné à des opérations amphibies et à la guerre en réseau, projet en parfaite contradiction avec l'engagement de l'UE et de l'OTAN auprès d'une Géorgie souveraine dans les limites internationalement reconnues (si l'on suivait la dialectique perverse pratiquée par les partisans de cette vente, vendre des armes à la Chine serait une contribution à la cause tibétaine !).

A rebours de cette pseudo-neutralité à l'endroit d'un pays plus vaste que la France et d'une nation qui participe pleinement de l'œkoumène européen, il faut souligner le fait que l'un et l'autre candidat à la présidence de l'Ukraine ne sont pas interchangeables. En situation de "challenger", Ioula Timochenko n'est certainement pas réductible au statut d'égérie de la "révolution orange" et à sa belle natte blonde. En position de pouvoir, elle a manifesté la volonté de lutter contre la corruption endémique et de démanteler les interfaces politico-mafieuses entre les exportateurs russes de gaz naturel et leurs clients ukrainiens (on songe à la société RosUkrEnergo, mise en place en 2004 sur la base d'un accord entre Leonid Koutchma, le président ukrainien de l'époque, et Vladimir Poutine). Soucieuse de mieux ordonner les relations avec la Russie voisine, sur la base d'un accord global entre Etats souverains, le premier ministre entend associer plus étroitement le destin de l'Ukraine à celui des "sociétés ouvertes" de l'ensemble euro-atlantique, en donnant un contenu plus substantiel à l'accord d'association entre son pays et l'UE.

L'autre candidat à la présidence présente un tout autre profil. Fils d'un mineur du Donbass (berceau du stakhanovisme et bastion de l'"humanisme prolétaroïde"), Viktor Ianoukovitch est un ancien chauffeur de poids lourd à la carrure massive dont la personnalité est l'expression politique de l'" Ostalgie" post-soviétique (il pousse toutefois la coquetterie jusqu'à se teindre les cheveux). En Ukraine, certains assurent que l'homme a eu maille à partir avec la justice soviétique mais pour des raisons tout autres que des faits de dissidence politique ; l'information est difficile à recouper et peut-être est-elle imputable à la méchanceté des gens. Toutefois, ses accointances avec Akhmetov, considéré comme un chef mafieux plus ou moins recyclé dans des formes civilisées de "business", sont attestées et l'on ne peut non plus oublier les fraudes électorales de la précédente élection présidentielle (2004). Si Viktor Ianoukovitch était porté à la présidence, en l'absence de majorité parlementaire (de précédentes tentatives de rapprochement avec la formation d'ioula Timochenko ont échoué à trois reprises), de nouvelles élections législatives seraient organisées d'ici le mois de mai (simultanément à un scrutin local). Dans le cas d'une hypothétique double victoire, à l'élection présidentielle puis aux législatives, l'homme ne tarderait pas à importer une forme de "démocratie dirigée", celle-là même dont les idéologues du Kremlin vantent les mérites.


L'"Ostalgie" de Viktor Ianoukovitch et ses prolongements


Attachés à une forme politique fondée sur le respect des libertés individuelles, nonobstant les imperfections et les pathologies que toute organisation humaine recèle, les "bons Européens" ne sauraient d'autant moins se désintéresser du sort de l'Ukraine qu'une semblable orientation aurait d'inévitables retombées sur le plan international. Ainsi Viktor Ianoukovitch s'est-il déclaré partisan d'une reconnaissance de l'indépendance des territoires géorgiens d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud alors même que la Biélorussie d'Alexandre Loukachenko et l'ensemble des pays de la CEI s'y refusent. L'un des premiers actes d'une hypothétique présidence de Ianoukovitch pourrait donc être de rejoindre les maigres rangs du Nicaragua néo-sandiniste et de l'archipel de Nauru, à rebours du droit des gens et des principes qui prévalent dans l'ensemble euro-atlantique. Faut-il rappeler le contenu du plan de paix Medvedev-Sarkozy et le déploiement d'observateurs européens sur les lignes de front de la guerre russo-géorgienne d'août 2008 ? Quels contrecoups un tel positionnement pourrait-il entraîner dans le Caucase du Sud et dans l'aire post-soviétique, voire même sur les frontières de l'Ukraine ? Un certain nombre de dirigeants politiques et militaires russes laissent à penser, par leurs propos, que les limites internationales de l'Ukraine ne seraient pas inscrites dans le marbre, la péninsule de Crimée et le port de Sébastopol relevant "naturellement" de l'aire russe (Viktor Ianoukovitch n'a pas désavoué les séparatistes de Crimée). Dans l'immédiat, on imagine difficilement le candidat du Parti des Régions ne pas renouveler à la Russie la location de la base navale de Sébastopol (signé en 1997, ce bail expire en 2017 et l'actuelle présidence ukrainienne a demandé le départ à cette date des bâtiments russes).

En dernière instance, il s'agit de savoir où vont les préférences et les intérêts bien compris des nations de l'ensemble euro-atlantique. La perspective d'une direction politique ukrainienne se livrant avec entrain au nouvel autoritarisme patrimonial porté par le Kremlin (l'autonomisation de Dmitri Medvedev et la promesse du nouveau cours qu'il pourrait donner à la Russie ne sont que des hypothèses d'école), l'inclination de Viktor Ianoukovitch en faveur du "marché commun eurasiatique" et de l'OTSC (un semblant d' "OTAN" russo-asiatique) et le dessin de nouvelles lignes de partage sur le plan idéologique dans l'Est européen sont-ils souhaitables et conformes à l'élargissement des frontières de la liberté ? L'Ukraine serait-elle vouée à redevenir le "fantôme de l'Europe" ? Les réponses s'imposent d'elles-mêmes. Il ne saurait être question de négocier les limites d'une zone d'influence russe dans l'hinterland européen et eurasiatique de l'ensemble euro-asiatique et, au prétexte de respecter une "grande nation", de traiter les peuples et nations centre-est-européens ("Europe byzantine" incluse) comme de simples objets. Cela va sans dire mais irait mieux en le disant depuis les capitales d'Europe de l'Ouest.

Certes, nous n'en sommes pas là. Les Ukrainiens ont précédemment administré la preuve de leur vitalité et de leur capacité à déjouer les plans des "mécaniciens du pouvoir". La vie intellectuelle et civique de ce pays est active, au contraire de la Russie, et l'on peut penser que des menées excessivement pro-russes déboucheraient rapidement sur une nouvelle crise politique interne, bousculant par ricochet la diplomatie de la main tendue que l'on cherche à conduire au sein des instances euro-atlantiques (mais aussi en marge de ces instances) vis-à-vis de la Russie. L'Histoire et la politique, tout aussi bien la stratégie, sont fréquemment sujettes à de tels retournements de situation. A tous égards donc, il nous faut souhaiter la victoire des forces politiques qui sont en faveur d'une Ukraine pleinement partie prenante de l'Europe une et entière. L'Etat ukrainien n'est-il pas le lointain héritier de cette Rus médiévale dont on aime à évoquer le souvenir, lorsqu'on en appelle aux racines européennes de la Russie ? Dans une large mesure, la destinée de l'Ukraine conditionnera le devenir de la "Russie-Eurasie" et son éventuelle orientation vers l'Europe.


Abstract

It is the same for Third-Worldism and other mass-ideologies of the past century; the major collective delusions are ebbing but minds are skewed by ideologies and perceptions are distorted. Thus, the Ukrainian presidential election does not take up more space than a coup de force in any African country or some new anti-globalization platform. However, the outcome of the second round and the possible victory of a representative of post-Soviet “Ostalgie” on 7 February would be inauspicious for the fate of one Europe as a whole.




Focus


L'indépendance ukrainienne en perspective


Indépendante depuis le 24 août 1991 et membre fondateur de la CEI, l'Ukraine s'étend sur plus de 603 700 km² et compte près de 47 millions d'habitants. Fermement soutenue dans ses aspirations occidentales par ses voisins centre-européens, l'Ukraine est avec la Pologne l'autre pays-clef de l'isthme Baltique-mer Noire, le plus vaste du continent, loin derrière la Russie d'Europe. Ouvert sur la rive septentrionale de la mer Noire, ce pays de plaines relève de l'Europe médiane, participant à la fois de l'Orient européen (l'« Europe byzantine ») et de l'« Occident kidnappé ». La situation religieuse, mise en évidence lors du voyage de Jean-Paul II en Ukraine, du 23 au 27 juin 2001, exprime cette ambivalence géographique et culturelle : territoire majoritairement peuplé d'orthodoxes, l'Ukraine compte une forte minorité catholique, le dixième de la population, bien implantée dans les régions occidentales autrefois sous souveraineté polono-lituanienne puis autrichienne Ces catholiques relèvent de l'Eglise uniate, constituée en 1596, lors d'une assemblée du clergé orthodoxe, à Brest-Litovsk. L'Eglise uniate a alors reconnu l'autorité du Pape et fait siens les dogmes romains, tout en conservant les rites grecs. Aux cinq millions de gréco-catholiques, il faut aussi ajouter un million de catholiques romains, pour partie des résidents polonais.

C'est également à l'ouest, en Galicie, que le nationalisme ukrainien s'est développé au cours du XIXe siècle. Active capitale intellectuelle, Lemberg (l'actuelle L'vov) compte alors de nombreuses sociétés savantes, des revues de haut niveau et une université. Langue vernaculaire jusqu'alors, l'ukrainien devient une langue de littérature. Les populations de langue et d'ethnie ukrainiennes dominent numériquement l'ouest et le centre du pays ; dans les anciennes provinces autrichiennes, elles représentent les neuf-dixièmes voire plus des habitants. C'est sur ces terres que le Roukh, le mouvement nationaliste et indépendantiste, s'est développé pendant la « Perestroïka » gorbatchévienne. Par contre, les citoyens ukrainiens d'origine russe ainsi que les russophones, soit le tiers de la population totale, sont majoritaires dans les régions orientales et côtières de l'Ukraine, notamment dans les grands bassins industriels hérités de la période soviétique. Dans la péninsule de Crimée, avant-poste de l'Empire russe depuis la Grande Catherine (voir le port militaire de Sébastopol, fondé en 1783), les Russes représentent 58% de la population et les trois-quarts des habitants sont russophones. S'y ajoute toutefois la conséquente minorité tatare (les Tatars de Crimée), massivement déportée sous Staline et guère encline au retour de la domination russe.

Conscient du rôle politique et religieux de l'Ukraine comme « pont » entre les deux parties du continent européen (les « deux poumons de la Chrétienté »), Jean-Paul II avait inscrit son voyage dans le cadre d'une entreprise de réconciliation avec les nations orthodoxes. Pour ce faire, il avait évoqué la mémoire du prince Vladimir, baptisé à Kiev en 988, référence commune aux catholiques et aux orthodoxes. L'hostilité manifestée par le patriarche de Moscou, Alexis II, à l'encontre de ce voyage papal était venue rappeler que l'Ukraine est depuis des siècles une « case » importante de « l'échiquier des influences latine et byzantine ». Si Jean-Paul II avait été accueilli avec respect par différentes communautés orthodoxes ukrainiennes, Alexis II avait dénoncé au cours d'une visite pastorale en Biélorussie l'« expansionnisme » de Rome et le « prosélytisme » catholique. De fait, les difficiles relations diplomatiques et stratégiques entre Kiev et Moscou – transit des hydrocarbures et tarifs gaziers, règlement de la dette ukrainienne, question du retrait de la flotte russe de Sébastopol et rattachement de l'Ukraine aux instances euro-atlantiques (UE-OTAN) – doivent être mises en perspective. Berceau de la « Rus'» médiévale, le territoire de l'actuelle Ukraine n'a été incorporé dans l'empire russe qu'à la fin du XVIIIe siècle. De 1917 à 1920, l'Ukraine est indépendante, jusqu'à ce que les bolcheviks remportent la guerre civile. L'Ukraine a d'ailleurs payé un rude tribut à la « Russie-Soviétie » : le seul génocide-famine de 1932-1933 a fait quelque six millions de morts soit le quart de la population ukrainienne de l'époque (les Ukrainiens nomment ce génocide "Holodomor"). Les dirigeants russes nient le caractère génocidaire de ces morts, au prétexte que les famines meurtrières provoquées par « la liquidation des koulaks en tant que classe » (décret du 27 décembre 1929) ont touché aussi des millions de paysans russes de la Volga, du Kouban et du Kazakhstan, mais on rappellera que ces morts ne s'annulent pas ; ils s'additionnent.

La longue durée et l'insistance sur les clivages ethno-linguistiques qui traversent les populations ukrainiennes ne doivent pourtant pas éclipser l'histoire immédiate et la réalité d'un sentiment national ukrainien à même de contrebalancer les forces centrifuges. Ainsi l'indépendance a-t-elle été approuvée, le 1er décembre 1991, par 90% des électeurs, ce fort consensus présupposant l'accord du plus grand nombre de citoyens ukrainiens d'origine et de langue russes. Quant à la politique de rapprochement des instances euro-atlantiques, elle est mise en œuvre au milieu des années 1990, bien avant la « révolution orange » et l'élection de l'actuel président pro-occidental, Viktor Iouchtchenko, en 2004. C'est dix ans plus tôt, en juin 1994, qu'un accord de partenariat et de coopération est signé entre l'Ukraine et l'Union européenne. En 1996, l'Ukraine obtient le statut d' « économie en transition », ce qui facilité l'accès des produits ukrainiens aux marchés de l'Union européenne. Trois ans plus tard, l'Union européenne adopte une stratégie commune sur l'Ukraine (démocratisation et réformes économiques ; coopération en matière d'environnement, d'énergie et de sûreté nucléaire). A Paris, le 9 septembre 2008, le sommet Union européenne-Ukraine a jeté les bases d'un futur accord d'association, conclus en 2009 (cet accord devrait ouvrir la voie à une zone de libre-échange, une coopération renforcée dans le domaine de la sécurité énergétique ainsi qu'un régime de libre-circulation des hommes entre l'Ukraine et l'UE. L'Ukraine participe aussi du Partenariat oriental lancé à Prague, le 7 mai 2009.

J.-S.M.



L'Ukraine et l'OTAN

Le partenariat de l'Ukraine avec l'OTAN date aussi des années 1990 et depuis, les liens entre l'OTAN et l'Ukraine se sont constamment resserrés. En février 1994, l'Ukraine est le premier pays à adhérer au Partenariat pour la Paix de l'OTAN. Le 8 juillet 1997, une « Charte de partenariat spécifique » OTAN-Ukraine est signée, ce document venant contrebalancer l' « Acte fondateur » qui lie la Russie à l'OTAN (en mai 1997). Dans ce cadre coopératif, l'Ukraine participe régulièrement aux manœuvres de l'OTAN : 250 activités annuelles sont programmées et dans le mois qui suit la signature de la charte, les forces navales de l'OTAN et de l'Ukraine ont mené des manœuvres communes en mer noire (« Sea Breeze »). Depuis, l'armée ukrainienne a reconverti l'un de ses centres d'entraînement en centre d'entraînement OTAN pour le maintien de la paix. Kiev et Varsovie ont conjugué leurs efforts pour mettre sur pied un bataillon conjoint de maintien de la paix, l'UkrPolbalt, déployé dans le cadre de la KFOR (Kosovo), puis au Liban.

C'est en mai 2002 que la demande d'adhésion de l'Ukraine est formulée, suite à l'instauration d'un partenariat stratégique Etats-Unis – Russie dans la lutte contre le terrorisme et à la mise sur pied du Conseil OTAN-Russie (COR). Outre l'ouverture de l'espace aérien ukrainien aux avions de l'OTAN en partance pour l'Afghanistan et l'Asie centrale, le rapprochement Ukraine-OTAN se concrétise dans les années qui suivent par divers accords et initiatives : signature d'un mémorandum d'entente relatif à l'accès facilité des troupes, avions, hélicoptères ou navires de l'OTAN au territoire ukrainien (avril 2004) ; signature d'un accord sur le transport aérien stratégique (juin 2004) ; prise de position du président ukrainien de l'époque (Leonid Koutchma) en faveur de la Force de réaction de l'OTAN et de l'opération « Active Endeavour » en Méditerranée (juin 2004).

Au mois de juillet 2004, l'Ukraine rend publique une « Doctrine militaire et stratégique jusqu'en 2015 », texte axé sur l'interopérabilité des forces armées nationales et des forces alliées . En avril 2008, les pays membres de l'OTAN ont reporté la décision d'accorder à l'Ukraine, comme à la Géorgie, le statut officiel de pays candidat (le fameux Membership Action Plan) et, lors des réunions de l'OTAN qui ont suivi, le dossier ukrainien n'a pas avancé nonobstant la guerre russo-géorgienne (août 2008). Depuis, aucun progrès en ce sens n'est intervenu et certains gouvernements d'Europe de l'Ouest sont enclins à accorder un droit de regard implicite à la Russie sur les orientations extérieures de l'Ukraine. Par principe, les membres de l'OTAN soulignent que leur alliance est ouverte à tout pays européen, ce qui suffit à susciter l'ire du Kremlin. De fait, il est bon de revenir aux fondements.

J.-S.M.


Docteur en géographie-géopolitique, Jean-Sylvestre Mongrenier est chercheur à l'Institut Français de Géopolitique (Paris VIII) et chercheur associé à l'institut Thomas More. 

Jean-Sylvestre Mongrenier,est l'auteur de "La Russie menace-t-elle l'Occident ?", Editions Choiseul, 2009)

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